À l’heure de quitter la place forte de Mont-Dauphin, nous ne pouvions partir sans faire un arrêt sur un élément architectural particulier, exceptionnel et unique : sa lunette d’Arçon. Pour la place forte, Vauban préconise déjà en 1700 la construction de trois éléments défensifs avancés. Une première demi-lune, héritière de ce projet, est construite entre 1728 et 1731. Les deux autres éléments n’ont jamais été réalisés. Cette demi-lune est ensuite modifiée selon les principes du général d’Arçon par l’ajout d’une tour de sécurité reliée à la place forte par un souterrain, pour devenir la lunette d’Arçon.
Mais qui est ce d’Arçon ?
Originaire de Franche-Comté, Jean Claude Éléonore Le Michaud d’Arçon fréquente l’École royale du génie de Mézières (Ardennes) en 1753-1754. En 1791, il est promu maréchal de camp, directeur des fortifications de Franche-Comté. Il est membre du Comité national des fortifications. Il émigre en 1792 et revient en France avec le titre d’inspecteur général des fortifications Il écrit alors un mémoire sur les moyens de reprendre Toulon aux Anglais. Premier à enseigner la fortification à l’École polytechnique, il rédige de nombreux mémoires expliquant ses méthodes pour rénover la fortification bastionnée compromise par les progrès de l’artillerie (Considérations sur l’influence du génie de Vauban dans la balance des forces de l’État, Strasbourg, 1786). Innovant dans le domaine de la fortification, d’Arçon invente en 1795 un ouvrage avancé de petite taille, appelé lunette d’Arçon. Il s’agit d’une sorte de demi-lune, construite sur le front le plus exposé, à plusieurs centaines de mètres en avant de la place à laquelle elle est reliée par un souterrain. En France, cinq places furent pourvues de ces ouvrages (Metz, Besançon, Perpignan, Saint-Omer, Mayence, Mont-Dauphin) dont plusieurs sont conservés (Besançon : lunettes de Touzey et Trois-Chatels et celle de la place forte de Mont-Dauphin).
Les plus de Fortification et Mémoire :
Considérations sur l’influence du génie de Vauban dans la balance des forces de l’État.
La lunette d’Arçon
La genèse
Dans son ouvrage imprimé en 1795, par ordre du Directoire, sous le titre de Considérations militaires et politiques sur la fortification, d’Arçon préconise des ouvrages avancés pour occuper les hauteurs dangereuses en avant de la fortification, voire les plis du terrain que le corps de place ne peut suffisamment surveiller et étendre l’action de la garnison au-delà des chemins couverts. À cet effet, il propose une espèce particulière de lunette à feux de revers et à réduit de sûreté, qui portera son nom, à la d’Arçon. Les propriétés de ces ouvrages ont déjà été indiquées dans un mémoire de d’Arçon (1792) intitulé : Mémoire sur la manière d’occuper les dehors des forteresses par des moyens rapides.

Modèle de lunette et de réduit de sûreté d’Arçon (à Metz, 1795) présent dans les collections du musée des Plans-Reliefs aux Invalides. Maquette au 1/144 (215 centimètres par 140 centimètres) et construite en 1795. © musée des Plans-reliefs – Bruno Arrigoni.
Description théorique
Ce sont des lunettes de 60 mètres à 80 mètres de face et de 30 mètres à 35 mètres de flanc, ayant un angle saillant d’environ 90 degrés, avec une gorge non terrassée, mais fermée par un simple mur d’escarpe tracé en ligne droite ou légèrement tenaillé.
Ces ouvrages se distinguent par :
- un réduit de sûreté, formé par une tour ronde en maçonnerie communiquant avec le corps de la place au moyen d’une galerie souterraine. Gaspart Noizet-de-saint-Paul, dans son traité sur les principes de la fortification, décrit ainsi ce réduit de sûreté : «Cette manière de défendre les gorges des ouvrages détachés a un grand avantage ; car, non seulement le feu qui part des casemates inférieures des tours empêchent d’insulter ces gorges mais, mais celui qui vient des casemates supérieures voit dans l’intérieur de ces ouvrages et gêne beaucoup l’assiégeant lorsqu’il veut s’établir. D’un autre côté, ces tours servent de réduits pour les détachements chargés de la défense de ces ouvrages qui, étant sûrs de leur retraite, y restent jusqu’au dernier moment, raison pour laquelle ces tours ont été appelées réduits de sûreté.»
- une traverse en capitale avec logements. Le sol de l’abri voûté est au niveau du terre-plein de l’ouvrage et cet abri permet de loger la garnison à couvert ; il communique à la galerie souterraine qui le relie à la place forte, à l’aide d’un escalier, que l’on peut interrompre à volonté.
- des casemates de contrescarpe à feux de revers, précédées d’un petit fossé diamant établi dans le grand fossé le long de cette contrescarpe, afin qu’on ne puisse pas, de l’extérieur, obturer les créneaux et pour qu’il puisse recevoir les matériaux de comblement (fascines ou autres) que l’assaillant pourrait accumuler devant les créneaux de ces casemates pour en paralyser l’action ; ces casemates communiquent avec le réduit de sûreté et la place forte par le prolongement sous le fossé, de la galerie souterraine centrale.

Schéma en coupe d’une lunette d’Arçon. La galerie souterraine d’accès depuis la place forte (1), le réduit de sûreté (2), l’abri-traverse casematé (3), la galerie de communication (4) et les casemates de feu de revers (5).
Images en trois dimensions d’une lunette d’Arçon (3D Model by Dr. Stephen C Spiteri PHD – MilitaryArchitecture.com) :
Celle de Mont-Dauphin ou lunette 64

Plans, coupes et élévations de la lunette d’Arçon. Atlas des bâtiments militaires, 1829. Collection Service Historique de la Défense.
Son histoire
En septembre 1791, le général Le Michaud d’Arçon en inspection de la place forte décide de transformer la lunette existante selon ses principes. Elle devient alors la lunette d’Arçon, par l’adjonction d’une tour et d’une traverse-abri casematées. Elle est reliée à la place forte par une communication désormais souterraine. Construite vers 1728 en avant du front d’Eygliers, la lunette originelle se situe dans l’axe de la capitale du bastion Royal, à 120 mètres de celui-ci, à l’endroit où une petite dépression aurait pu masquer une troupe ennemie. Cette lunette avancée est reliée au fossé principal par une communication en caponnière à ciel ouvert. Commencée vers 1792, elle n’est achevée qu’en 1799 (ou 1802 selon les sources) au rythme de la mise en place des crédits et des crises européennes.
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Description des éléments
- La tour casematée (ou le réduit de sûreté) en pierre rose est coiffée d’une toiture conique en ardoises, dont la voûte est à l’épreuve de la bombe. Elle possède deux niveaux : un abri en sous-sol et un étage de combat percé de vingt-huit créneaux de fusillade sur 360 degrés et de huit évents. La voûte d’arête est portée par quatre piliers indépendants du mur circulaire de la tour casematée de sorte qu’une brèche n’entraîne pas la chute de la voûte. Des potences métalliques permettent de créer, au niveau des évents, une seconde ligne de feu d’infanterie.
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- Les galeries de contre-mine partent en rameaux depuis la galerie centrale. Elles sont creusées sous les glacis pour localiser l’approche d’assaillants potentiels et miner leurs éventuels travaux de sape.

Les galeries de contre-mine (3), la tranchée souterraine (1), le réduit (2), la traverse-abri (4), les fossés (5) et les casemates à feux de revers (6).
- Une traverse-abri centrale casematée accessible depuis la galerie par un escalier basculant permettant d’isoler les différentes parties de la lunette en cas de repli.

Schéma panoramique du principe de la lunette d’Arçon : casemates à feux de revers et souterrain d’accès; la banquette de tir, l’abri-traverse et leurs accès; le réduit de sûreté avec ses deux étages; le long souterrain d’accès à la lunette. Photographie de la planche explicative installée dans l’étage de combat de la lunette d’Arçon.
- Une galerie souterraine reliant la lunette à la place forte sur plus de cent mètres.
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- Des casemates à feux de revers installées dans la contrescarpe. Celles-ci permettent de prendre à revers des assaillants ayant pris pied dans le fossé de la lunette.

Sur cette photographie, on remarque à gauche dans la contrescarpe de la lunette, les traverses casematées. Cette vue permet de distinguer les banquettes de tir sur l’escarpe de la lunette. Photographie Michel Wal.
Les plus de Fortification et Mémoire : réaliser par un découpage une lunette d’Arçon et un livret sur la place forte.

Le front d’attaque (d’Eygliers) de la place forte de Mont-Dauphin et sa lunette d’Arçon. Collection Géoportail.
Conclusion
Nous venons de vous présenter d’une manière, non exhaustive, la place forte de Mont-Dauphin. Cette place forte mérite plus qu’un détour, alors consacrez lui un peu de temps : pour une visite des bâtiments, pour flâner dans les rues du village et pour musarder dans les fossés…Alors, lors de vos visites, n’hésitez pas à prendre des photos et à nous les envoyer. Nous nous ferons un plaisir de les intégrer à cet article.
Nous espérons que cet article vous aura intéressé tout autant qu’il fut passionnant pour nous à écrire. En tout cas, Fortification et Mémoire est heureux de vous faire partager le fruit de ses recherches et encore merci à Bénédicte de Wailly pour la pertinence de ses corrections et à Gérard de Wailly pour ses photographies.
Avant de refermer cet article, survolez une dernière fois le Mont-Dauphin grâce à ces superbes images vues du ciel grâce à la vidéo ci-dessous ou à l’adresse suivante : https://vimeo.com/104426938 (la vue en plein écran est magnifique) :
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Pour une visite de Mont-Dauphin :
Sources
Bibliographie :
Les fortifications des Alpes, De Vauban à Maginot, Robert Bornecque, Édition le Dauphiné 1998 ;
Archives du Service Historique de la Défense ;
Les Ingénieurs du Roy de Louis XIV à Louis XVI, Anne Blanchard, Étude du corps des fortifications, Centre d’histoire militaire et d’études de défense nationale, 1979 ;
Vauban, Anne Blanchard, Fayard 1996 ;
Vauban, Bernard Pujo, Albin Michel, 1991 ;
Louis XIV, François Bluche, 1986 ;
La place forte de Mont-Dauphin, dans Congrès archéologique de France, Robert Bornecque,1974;
La place forte de Mont-Dauphin, l’héritage de Vauban, Nicolas Faucherre, Actes Sud, 2007 ;
Archives de Guillestre, Guillaume (abbé Paul), 1906 ;
Service des ingénieurs militaires en France pendant le règne de Louis XIV, dans la Revue du Génie militaire, Lecomte (colonel Ch.), 1903/01 ;
Analyse et extraits de la correspondance de Vauban, Rochas d’Aiglun,1900/01 ;
Vauban, sa famille et ses écrits, ses oisivetés et sa correspondance. Analyse et extraits, tome 2, Rochas d’Aiglun, Paris, 1910 ;
Vauban, Sébastien Le Prestre de, Les oisivetés de Monsieur de Vauban, Édition intégrale établie sous la direction de Michèle Virol, Éditions Champ Vallon, 2007 ;
Vauban, de la gloire du roi au service de l’État, Michèle Virol, Champ Vallon, 2003 ;
La route des fortifications dans les Alpes, Robert Bornecque, les éditions du huitième jour, 2006 ;
Histoire de la fortification jusqu’en 1870. Tome 2 : de Vauban à l’artillerie rayée, Paul Emile Delair (chef de bataillon du Génie), Gérard Klopp éditeur, 2004 ;
Mont-Dauphin, chronique d’une place forte du roi, Bénédicte de Wailly, édition du Net, 2014.
Internet
http://www.gallica.fr
http://www.sites-vauban.org
http://www.cartalpes.fr
http://www.paca.culture.gouv.fr
http://www.culture.gouv.fr/public/mistral/merimee_fr
http://kikiarg.perso.neuf.fr