
Vue du ciel du fort de la Malmaison et du cimetière allemand. Les ruines du fort sont entièrement recouvertes par un bosquet. Le cimetière allemand de La Malmaison rassemble les corps des soldats du Reich tombés durant la Seconde Guerre mondiale, en particulier en 1944 lors de l’offensive alliée de la Libération, notamment lors de la percée d’Avranches. 11 841 corps reposent dans ce lieu inauguré le 21 août 1965. Les premiers corps ont été ramenés dès 1941 par trains spéciaux des sites des monts de l’Aisne (offensive de 1940). Collection Géoportail.
Dans cette sixième et dernière partie, Fortification et Mémoire vous entraîne dans les ruines du fort de la Malmaison. Parfois surnommé « Le Sacrifié », il a servi de terrain d’expérimentation pour les nouveaux projectiles nés de la crise dite « de l’obus-torpille ». De plus, il eut à subir les combats de la bataille de la Malmaison du 23 octobre au 26 octobre 1917.
Le fort de la Malmaison
Le fort
Bâti à 170 mètres d’altitude sur la commune de Chavignon, le fort de la Malmaison est situé au sud-ouest de la place de Laon entre les forts de Condé [voir la cinquième partie de cet article] et de Montbérault. À l’ouest, il est « la porte d’entrée » du Chemin des Dames.
Par décret du 21 janvier 1887, le ministre de la guerre, le général Boulanger souhaite que l’on rebaptise chaque bâtiment militaire (caserne, fort, batterie…) du nom d’une gloire, si possible militaire et locale. C’est ainsi que le fort de la Malmaison devient, un temps, le fort Dumas.
Ses missions sont d’assurer la défense du secteur entre Laon et Soissons, dernière étape avant Paris, et plus particulièrement le couloir d’invasion formé par la vallée de l’Ailette et de protéger la route Paris-Maubeuge.
Le fort de la Malmaison est construit en même temps que son voisin le fort de Condé, entre 1878 et 1882 pour un coût de 1 838 000 francs or. Son effectif théorique est de 22 officiers, 46 sous-officiers et 736 soldats, soit 804 hommes. Formant un rectangle de 270 mètres sur 240 mètres, il abrite des réserves en vivres et munitions pour six mois de siège.
Ce fort rectangulaire dont le fossé est défendu par deux caponnières doubles (saillants I et III), est agencé comme un fort d’arrêt. Sa rue du rempart, au tracé hexagonal, longe vingt et une traverses à deux étages. Les traverses une à dix-huit sont reliées par une galerie enveloppe au niveau de leur sous-sol. Ce grand fort possédait deux fours à pain (300 rations chacun) placés perpendiculairement l’un par rapport à l’autre, deux magasins à poudre, une cartoucherie pouvant stocker 500 000 cartouches, deux puits d’un débit journalier de 18 m3 alimentant une citerne de 60 m3, un vaste casernement à deux étages avec deux cours distinctes en puits à lumière, une infirmerie pour quatre-vingt malades et une écurie pour quatorze chevaux.
Son artillerie
L’artillerie du fort comprend, en 1888, 26 pièces réparties sur 22 plateformes d’artillerie et 8 pièces dans les caponnières. Ces pièces sont disposées à l’air libre.
Pièces de rempart du fort | 5 canons de 155 L / 17 canons de 120 L / 6 mortiers lisses de 15 |
Flanquement des fossés | 4 canons révolvers / 4 canons de 7 |

Plan du fort de la Malmaison. Détail du panneau explicatif du fort de La Malmaison. Photo Fortification et Mémoire.
Déclassé par le Conseil supérieur de la Guerre le 1er octobre 1898, avant d’être vendu à un particulier en 1912, le fort de la Malmaison n’a subi aucune modernisation.
Son histoire
Un réceptacle à obus !
[Complément de l’article précédent sur la crise de l’obus torpille]. Avec l’évolution de l’artillerie en 1885, est organisée et suivie par une délégation des Sections techniques de l’Artillerie et du Génie, une série de tests des nouveaux obus sur un fort. Le but de ces expériences est de se rendre compte, au plus tôt, des effets à attendre des nouveaux projectiles sur les éléments existants de la fortification et sur leurs abords. Dans ce but, on procède à des éclatements au repos (obus posés sur le sol que l’on fait éclater à l’aide de charges explosives), à des relevés, sur le sol des gerbes d’éclats donnés par des éclatements d’obus après ricochet, à des tirs sur le sol et sur des abris voûtés, ainsi que sur les escarpes et contrescarpes. On a étudié, enfin, les effets de la pénétration des obus allongés dans les terres. Ces essais vont conditionner, dorénavant, l’ensemble du programme français de fortifications.
C’est le fort de la Malmaison, alors fort de deuxième ligne, qui est choisi, pour ce que l’on a dénommé à l’époque : les expériences de Chavigon. Ces expériences s’y déroulent du 11 août au 25 octobre 1886. Le général Boulanger en personne assiste le 22 septembre à l’une de ces expériences.
Le fort est mis en état de défense. On commence par obstruer avec des rails et des madriers les portes et les fenêtres des locaux s’ouvrant sur les cours intérieures de l’ouvrage. Puis, on s’efforce de déterminer les effets d’un obus venant éclater dans l’une de ces cours. À cet effet, on dispose dans celles-ci divers projectiles, qu’on fait sauter les uns après les autres, et il est permis de constater que les éclats percent souvent le matelas de rails et de madriers.

Une cour intérieure d’une des casernes en 1880. On remarque les madriers pare-éclats posés sur les fenêtres.
La 4e batterie du 3e bataillon d’artillerie de forteresse installée dans le village de Chavigon (distant de trois kilomètres du fort) tire, en trois séries, près de 240 obus chargés d’acide picrique (la mélinite) sur le fort. Ce sont des pièces de 155 Court et des mortiers de 220, seules bouches à feu pour lesquelles on dispose, alors, d’obus allongés donnant satisfaction. Les obus de 155 sont longs d’un mètre, ont un diamètre de 22 centimètres et pèsent 110 kilogrammes.
Le nombre des coups tirés a été de 242 (167 de 155 millimètres et 75 de 220 millimètres). Des tables de tir sommaires ont été établies préalablement à cet effet par la Commission de Bourges.
Les résultats sont accablants : casernes et traverses abris détruites (les obus creusant des entonnoirs de six mètres de diamètre), magasins à poudre et caponnières percés, les murs d’escarpe et de contrescarpe complètement bouleversés, les plaques d’acier de vingt centimètres sont traversées. De plus, ces obus éclatent en projetant des milliers de morceaux de fonte avec une force « terrifiante ». On mesure ensuite la profondeur des entonnoirs créés dans les terrassements, puis on étudie le comportement des locaux souterrains sous l’effet d’un tir plongeant. Ces locaux sont protégés par des voûtes en maçonnerie de 80 centimètres à 1 mètre d’épaisseur que surmonte une couche de terre d’au moins 1 mètre 50 ; or l’obus de 155 mm triomphe de cette double protection et l’obus de 210 mm détermine fatalement des dégâts beaucoup plus considérables. Ainsi, un obus de 155 mm crève, suivant un cercle de 3 mètres de diamètre, une voûte de 0,80 mètre d’épaisseur, dont il est séparé par un matelas de terre de 1,70 mètre. Un piédroit de 0,80 mètre d’épaisseur est disloqué par l’éclatement d’un obus de 155 mm, dont il est séparé par un matelas de terre, de 5 mètres d’épaisseur. Naturellement, les effets du 220 mm sont encore plus grands : les voûtes de 1 mètre d’épaisseur ne lui ont pas résisté, même avec un matelas de terre de 1,50 mètre d’épaisseur. En poussant au vide, c’est-à-dire en faisant éclater l’obus près de la face intérieure du mur de revêtement, un seul obus de 155 mm fait une brèche de 0,50 mètre de large, et un obus de 220 mm, une brèche de 7 mètres.
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Le rapport final indique que toutes les fortifications construites depuis 1870 sont totalement obsolètes et qu’il faut prendre de nouvelles mesures pour pallier les effets dévastateurs de ces nouveaux obus. De nouvelles expériences, réalisées sur le fort en 1894, continuent de l’endommager fortement. Les dégâts sont tels que celui-ci sera déclassé par le Conseil supérieur de la Guerre le 1er octobre 1898 avant d’être vendu à un particulier en 1912.
Ces divers résultats fournissent une base pratique pour le remaniement des ouvrages existants, que les progrès considérables réalisés par l’artillerie rendent nécessaires. Ils montrent, en outre, que la maçonnerie ordinaire ne convient plus à la fortification future. Ils sont confirmés et complétés par les expériences suivantes, exécutées à Bourges du 13 décembre 1886 au 4 mai 1887. Elles portent sur six abris de fortification, les uns en béton, les autres en moellons, construits sur le polygone de Bourges. La Commission spéciale, créée pour l’occasion, conclue comme suit : « les abris ne doivent plus être construits en moellons, mais en béton, et la terre doit être remplacée par du sable. »
Le fort dans la Grande Guerre
Le 3 septembre 1914 les Allemands le prennent sans combat. « Les fortifications d’Hirson, Les Ayvelles, Condé, La Fère et Laon sont entre nos mains » mentionne dans son communiqué le Grosses Hauptquartier. La route de Reims est ouverte. Il sert de position fortifiée pour bloquer une contre-offensive française. Il est occupé pendant près de trois ans.

Le Miroir du dimanche 7 février 1915 mentionnant : « Le fameux général von Kluck au fort de la Malmaison. Sur cette photographie, prise au fort de la Malmaison, dans l’Aisne, pendant un engagement, on voit en bas, le général von Kluck, célèbre depuis sa marche sur Paris. Derrière lui, le lieutenant général Teller ».
Le commandement allemand profite de ce laps de temps pour fortifier la position notamment par l’utilisation de ses souterrains et en construisant un observatoire en béton bénéficiant ainsi d’une vue imprenable sur Laon.
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Le 23 octobre 1917, six mois après les premières offensives du Chemin des Dames, il est repris par les 554 hommes du 3e bataillon du 4e régiment de zouaves au prix d’effroyables pertes, et ce malgré une intense préparation d’artillerie qui le pilonnera durant 48 heures (800 obus de gros calibre). Les Alliés tiendront les ruines du fort jusqu’au 18 mai 1918, date à laquelle les allemands le reprennent lors « de la seconde bataille de la Marne ». Un mois et demi avant l’armistice, une patrouille du 25e bataillon de chasseurs alpins s’empare du fort. Il restera Français jusqu’à l’armistice.

Carte d’état-major datée du 7 octobre 1917. Le fort de la Malmaison est déjà mentionné comme ruiné. Y sont reportées également les tranchées autour du fort ainsi que leur appellation.

Vue aérienne du fort de la Malmaison, le 22 septembre 1917. On distingue : la masse de la caponnière double près de l’entrée, quelques traverses abris, les deux rectangles noirs indiquant les cours des casernes. Collection archives départementales de l’Aisne.
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Pour en savoir plus : les combats de la Malmaison.

Fascicule de la collection « Patrie », N° 61 – La victoire de la Malmaison (1918), par Paul Carillon. Les fascicules de la Collection Patrie relatent, d’une façon romancée, exacerbée par la propagande, différents épisodes de la Première Guerre mondiale puis de la Seconde Guerre mondiale.
Un abri allemand en béton dans le fort

Abri allemand en béton armé aménagé dans le fort de la Malmaison, 27 octobre 1917 in « La lettre du Chemin des Dames n°36 ». Collection bibliothèque de documentation internationale contemporaine (BDIC), fonds Valoi, 1349.
Relevé dans ″La Lettre du Chemins des Dames n°36″, la description par le lieutenant René Germain de l’attaque d’un abri bétonné allemand lors de la prise du fort de la Malmaison en octobre 1917 : « Tout à coup, une mitrailleuse nous claque aux oreilles. Elle est à quinze mètres devant nous, un peu à gauche. Quelques poilus se précipitent, et à la faveur de l’obscurité réussissent à s’en emparer, mais les soldats qui la servent se sont réfugiés dans l’abri profond qui doit être intact. J’y envoie un de mes lance-flammes qui d’un jet de feu massacre tous les occupants.»

Plan d’un abri allemand en béton in « La lettre du Chemin des Dames n°36 ». Règlements allemands relatifs à la guerre de position pour toutes les armes. Détails d’organisation des positions, 15 décembre 1916. Collection Imprimerie nationale, Paris, 1917.
Aujourd’hui
Il ne reste plus grand-chose de l’ouvrage, mais les vestiges totalement ou certains partiellement envahis par la végétation méritent le détour. Il est pourvu d’un sentier pédestre aménagé sur une partie de ses superstructure et jalonné de panneaux explicatifs. Les traverses 5 à 11 sont bien dégagées tandis que le casernement est presque totalement détruit. L’endroit est clos et interdit d’accès. Il se visite uniquement le quatrième dimanche de chaque mois, en s’adressant à la Caverne du Dragon.
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Une découverte bien mystérieuse : un souterrain à proximité du fort de la Malmaison (ici).
En ces temps de centenaire de la Grande Guerre, Fortification et Mémoire a tenté au travers de cet article en six parties d’apporter sa petite contribution à cette entreprise de Mémoire. Nous espérons également vous avoir donné envie de découvrir ou de redécouvrir ces trois sites du Chemin des Dames.
Sources
Bibliographiques
- La victoire de l’Aisne », H.Carré – Lectures pour tous, décembre 1917 ;
- Un fort type Séré de Rivières : le fort du Mont-Vaudois, Pierre Richard ;
- Lettres du Chemin des Dames ;
- Index de la fortification française 1874-1914, Marco Frijns – Luc Malchair – Jean-Jacques Moulin – Jean Puelinckx ;
- L’artillerie de terre en France pendant un siècle. Histoire technique (1816-1919) du général J.Challéat, tome 1 et 2 ;
- La crise de l’obus torpille en France, colonel (er) Pierre Rocolle.
Internet
- wikipedia.fr ;
- rosalielebel75.franceserv.com ;
- souterrains.vestiges.free.fr ;
- dumultien.over-blog.fr ;
- www.guerredesgaz.fr ;
- lpracht.free.fr/sdr/f14.htm (Le petit atlas de la fortification) ;
- gallica.fr ;
- aldfs.bb-fr.com ;
- canonspgmww1guns.canalblog.com/archives/2005/12/08/1088475.html ;
- dictionnaireduchemindesdames.blogspot.fr ;
- memorial-chemindesdames.fr ;
- cparama.com ;
- rosalielebel75.franceserv.com ;
- fortiffsere.fr ;
- escarpades02.over-blog.com ;
- pages14-18.mesdiscussions.net/pages1418 ;
- albertvillefortifications.com ;
- chemindememoire.gouv.fr ;
- blog-dazur.blogspot.fr