La casemate de Bourges ou le flanquement des intervalles (1/4)

Une magnifique vue aérienne du fort de Vaux encadré par ses deux casemates de Bourges. ClichéO – Miltiade Léger.

Dans cet article, les documents mentionnés : «Collection Vaubourg Cédric» ou «Collection Vaubourg Julie» ou «Collection Vaubourg Cédric et Julie» ou «www.fortiffsere.fr» sont publiés avec l’extrême amabilité de monsieur et madame Cédric et Julie VAUBOURG. Ces documents sont extraits de leur site : www.fortiffsere.fr, le site web sur la fortification Séré de Rivières.

Un remerciement à Bruno pour la mise à disposition des photographies de la casemate de Bourges ouest du fort d’Uxegney (Vosges). Ce fort, classé monument historique, est un exemple de restauration réussie, notamment la casemate de Bourges ouest. De plus, l’Association pour la Restauration du Fort d’Uxegney et de la Place d’Épinal (ARFUPE) continue à conduire des projets visant à faire vivre le fort. Une magnifique visite à entreprendre.

Un remerciement à Olivier pour la mise à disposition des photographies d’une des casemates de Bourges du fort d’Haudainville (Verdun). Partez à la découverte de son site Mémoire & Fortifications, «parce que la Mémoire, ce travail de souvenir qu’il faut sans cesse entretenir est ce qui nous permettra de transmettre tout ce qui demeure aujourd’hui, faire connaître ces lieux et ces sites, et si possible, d’aider à sauvegarder ce qui peut l’être…Et sinon de témoigner de ce qui a été

Un remerciement à Guy François. Les documents mentionnés : « Collection Guy François » publiés dans la quatrième partie, le sont avec l’extrême amabilité de monsieur Guy François. Ces documents sont parus dans le numéro 106  de la revue Guerre, Blindés & Matériel. Revue d’excellente qualité, traitant à 100% de l’Armée française, à laquelle collabore monsieur Guy François.

Un remerciement à Miltiade pour l’autorisation de mettre en ligne sa photographie aérienne du fort de Vaux. Allez faire un petit tour sur son site, vous y découvrirez de magnifiques vues aériennes de la région de Verdun, mais aussi de la Lorraine et d’ailleurs.

Au travers de cet article en quatre parties Fortification et Mémoire a décidé de s’intéresser à un élément particulier de la fortification : la casemate de flanquement des intervalles dite « de Bourges ». Dans les première et deuxième parties, nous étudierons la casemate proprement dite. Et, dans les troisième et quatrième parties, nous verrons sa survivance, intégrée dans la Ligne Maginot, avec un focus sur le canon de 75 millimètres modèle 1897-1933 équipant celles de la Ligne Maginot.

La casemate de flanquement

Il s’agit d’une construction aménagée pour abriter deux canons, dans un premier temps des canons de 95 millimètres modèle 1875 (illustrations plus avant dans l’article) puis rapidement remplacés par des canons de 75 millimètres modèle 1897 à tir rapide, ainsi que leurs affûts, leurs armements, leurs munitions et leurs servants. Cette construction est un organe de flanquement destiné principalement à la couverture des intervalles. Elles sont souvent préférées aux tourelles à éclipse de 75 millimètres modèle 1905 car d’un coût largement inférieur : 200 000 francs au lieu de 90 000 francs, au tarif de 1913-1914.

Tourelle de 75 millimètres modèle 1905 en position d’équilibre, soit à moitié en batterie au fort d’Uxegney. Crédit Thomas Bresson.

Du flanquement

Au début des années 1900, les intervalles constituent la partie faible d’une ligne de défense ; ils sont en réalité l’objectif de l’attaque, et si l’on est conduit à assiéger les forts, c’est parce que des feux d’intervalle empêchent par leurs tirs de flanc la prise de possession dudit intervalle. Le flanquement des intervalles existant entre deux forts voisins est assuré par des canons de petit calibre à tir rapide abrités soit dans des casemates de flanquement en béton, soit dans des tourelles cuirassées. Elles sont dissimulées aux vues de l’ennemi leur assurant le rôle de flanquement pour défendre les abords de l’ouvrage et les intervalles.

La casemate de flanquement dite « de Bourges »

Plan d’une casemate de flanquement des intervalles pour deux canons de 75 millimètres. In la fortification permanente jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale _ 1949. Collection Fortification et Mémoire.

Sa conception 

Par des dépêches en date du 8 juin 1898 et du 15 juin 1898, Charles Freycinet, le ministre de la guerre invite les sections techniques du Génie et de l’artillerie à étudier sans délais un type de casemate destiné à abriter dans les ouvrages intermédiaires, les pièces de flanquement des intervalles. D’un avis commun en date du 1er août 1898, les sections techniques proposent un type de casemate de flanquement organisé pour être armé d’un canon de 95 millimètres sur affût de côte.

Depuis 1888, un nouveau modèle de casemate, alors en étude à Bourges par le commandant du Génie Laurent (il devint général de division et président du comité technique du Génie), est en expérimentation. Ce modèle est une adaptation de celui présenté en 1887 par le lieutenant-colonel hollandais Voorduirn qui propose une casemate de flanquement à trois directions de tir dans une volumineuse caponnière cuirassée, à la gorge de l’ouvrage. Le cuirassement est constitué par des plaques en métal de 0,25 mètre d’épaisseur. La  modification du colonel Laurent consiste à remplacer le cuirassement métallique par du béton.

De même, en 1890, un capitaine du Génie hollandais CJ Snijders reprend l’idée du commandant Voorduirn et propose non plus une grosse caponnière de gorge, mais deux casemates cuirassées indépendantes, armées chacune de trois canons de 10 centimètres, et dispersées dans les flancs des ouvrages. En parallèle, vers 1895, un colonel russe du nom de Miakovski, du Génie, publie dans «l’Ingernii journal» ses réflexions sur les dispositions qu’il convient de prendre pour assurer la défense des forts. Il y fait remarquer que l’adoption du système de places constitué par une ceinture de forts a introduit dans la guerre de sièges un facteur nouveau, l’intervalle. Miakovski propose des batteries-casemates bétonnées, à trois pièces disposées en échelon refusé pour un meilleur défilement. L’armement proposé est le canon de 95 millimètres modèle 1888 français !

de

L’évolution des ouvrages de flanquement 1887 – 1930 in la muraille de France ou la ligne Maginot – Philippe Truttmann – 1992.

Une instruction en date du 17 août 1899 préconise une casemate équipée de deux pièces de 95 millimètres sur affût de côte placées dans deux chambres de tir en retraite l’une sur l’autre, celle d’avant couverte par un terrassement soutenu par un mur en béton. Les conclusions de cette instruction sont approuvées, dans leur ensemble et sous réserve de certaines modifications de détail, par une décision ministérielle du 18 septembre suivant, aux termes de laquelle le type de casemate proposé doit être soumis à des expériences, qui ont principalement pour objet de déterminer :

  • les conditions d’aération ;
  • la possibilité de conserver aux pièces leur masque de protection ;
  • la possibilité d’organiser un magasin à munitions bas.

Le ministre ajoute que les expériences auront lieu au polygone de Bourges, sur une carcasse de casemate ayant un vide intérieur identique au vide prévu. Un nouvel avis commun des sections techniques, en date du 14 octobre 1898, dont les conclusions sont approuvées le 3 novembre suivant, fixe les détails de construction de la dite carcasse de casemate et formule des propositions au sujet du programme des expériences et de la composition de la commission qui en sera chargée.

Une carcasse de casemate est construite et orientée de telle sorte que le canon de 95 millimètres, pointé à la limite droite de son champ de tir de 45 degrés, est dirigé suivant la ligne de tir du polygone (neuf kilomètres à l’époque), permettant le tir à obus réels. Les expériences ont comporté trois séances, dont la première a lieu le 16 mars 1899 et les deux autres le lendemain. La commission dispose d’un détachement d’artilleurs formé d’un sous-officier et de cinq hommes. Il est alloué pour les tirs, 200 obus de 95 millimètres.

La défense côtière de la Presqu'île de Crozon se voit affubler de canons courts G de 95 mm modèle 1888 français sur affût crinoline. Photographie Fortification et Mémoire.La défense côtière de la Presqu'île de Crozon se voit affubler de canons courts G de 95 mm modèle 1888 français sur affût crinoline. Photographie Fortification et Mémoire.La défense côtière de la Presqu'île de Crozon se voit affubler de canons courts G de 95 mm modèle 1888 français sur affût crinoline. Photographie Fortification et Mémoire.La défense côtière de la Presqu'île de Crozon se voit affubler de canons courts G de 95 mm modèle 1888 français sur affût crinoline. Photographie Fortification et Mémoire.      

La défense côtière de la Presqu’île de Crozon se voit affubler de canons courts G de 95 mm modèle 1888 français sur affût crinoline par ordonnance de 1894. Toutes les côtes françaises disposent de ce canon qui fut produit à grande échelle. En 1940, ce canon français est une « antiquité ». Sa conception date de 1871 de la part du Lieutenant-Colonel Lahitolle. Il est décliné d’abord en canon de campagne (sur roues). Il est mis en réserve quelques temps avant la première guerre mondiale puis reprend du service en 1914. Un canon à fort recul, d’une cadence de tir d’1 coup par minute pour une portée de 6 à 9 km, même si pour la première fois de l’acier entre dans sa construction, ce canon est vite dépassé. Le colonel Deport, en 1892, crée une version sur pied fixe à 16 points d’attache au sol. La rotation sur 360° était alors aisée. L’adjonction d’un frein à graisse favorisera la cadence de tir, cependant encore insuffisante. Les améliorations techniques se poursuivront jusqu’en 1904 et porteront sur la culasse et la sécurité de celle-ci. En 1940, l’armée française songe à se débarrasser de ses vieilleries quand l’armée allemande en prend possession. Parfois en batterie, parfois isolément, ce canon français tirera sur les alliés et les forces françaises alors qu’il fut conçu pour nuire aux forces allemandes. Un canon de 1888 pour défendre la France de 1940… Les budgets manquaient déjà ! Les batteries côtières s’appelaient alors des batteries de semonce, autant dire « inoffensives » ou presque. Photographie Fortification et Mémoire. Les vestiges de sa présence en Presqu’île se détectent encore grâce à des plates-formes bétonnées souvent circulaires et 16 tiges filetées disposées en cercle marquant les points de fixation des pieds crinolines. Photographie Fortification et Mémoire.

Le canon de 95 millimètres et son affût de côte peuvent être employés pour le tir sous casemate, mais ils présentent quelques imperfections qu’il serait possible d’éviter avec l’emploi d’un nouveau matériel. L’importance du rôle des pièces de flanquement des intervalles des forts et le petit nombre de celles qui ont cette affectation paraissent être des raisons suffisantes pour employer à cet usage de véritables canons à tir rapide, du modèle le plus perfectionné. L’augmentation de dépense serait relativement faible, eu égard au prix d’un ouvrage ; elle n’aurait d’ailleurs rien d’exagéré, comparativement au prix des casemates elles-mêmes et des magasins à l’épreuve destinés à abriter les pièces et leurs munitions.
La commission décide que le canon de 75 millimètres monté sur un affût ad hoc serait particulièrement approprié à ce rôle. Les sections techniques de l’artillerie et du Génie devront doter ces pièces de toutes les améliorations dont elles sont susceptibles et les installer sur un affût étudié spécialement en vue du tir sous casemate

Canon de 75 millimètres, avec son affût spécifique pour les casemates de Bourges, positionné devant l'entrée de la citadelle de Verdun. Photographie Fortification et Mémoire.

Canon de 75 millimètres, avec son affût spécifique pour les casemates de Bourges, positionné devant l’entrée de la citadelle de Verdun. Photographie Fortification et Mémoire.

Cet affût devra être à pivot avant, de façon à permettre de réduire au minimum les dimensions de l’embrasure. La pièce en batterie sera portée aussi en avant que possible pendant les tirs, pour éviter l’enfumage des servants. Mais, comme la saillie de la volée hors de l’embrasure exposerait la pièce à être mise hors de service par le bombardement, l’affût devra être organisé de sorte que le canon puisse être reculé de la distance suffisante dans la casemate au moment où l’on cessera le feu.

En résumé, la commission estime :

  • que le type de casemate expérimenté au polygone de Bourges peut être appliqué avantageusement dans les forts et ouvrages intermédiaires pour le flanquement des intervalles ;
  • que l’emploi, pour cet objet, d’un matériel type canon de 95 millimètres sur affût de côte, constitue une solution provisoire, susceptible de donner satisfaction aux besoins immédiats ;
  • que la question de l’aération ne présente pas de difficulté sérieuse, étant entendu qu’on fera usage de poudre BC [poudre B ou poudre sans fumée. Comme son nom l’indique, elle ne produit pas de fumée. Elle a aussi l’avantage de ne pas être sensible à l’humidité, de laisser très peu de résidus de combustion et d’être trois fois plus puissante, à poids égal, que la poudre noire], mais qu’il faudra en tout cas ménager une baie ouvrant à l’air libre, préférablement en arrière de la pièce ;
  • que rien ne s’oppose à ce que l’on conserve à la pièce un masque de protection ;
  • que le ravitaillement en munitions tirées d’un magasin à munitions bas sera facilement assuré par une chaîne d’hommes ;
  • que, dans l’étude du matériel d’artillerie à construire ou à transformer pour être installé sous casemate, il conviendra de tenir compte des desiderata formulés au cours du présent rapport et, en particulier, d’augmenter la rapidité du chargement et de prévoir l’emploi d’affût à pivot avant, d’étoupilles obturatrices et de hausses permettant de pointer pendant qu’on charge la pièce.

La définition de la poudre de type BC in l’aide-mémoire de campagne à l’usage des officiers de réserve d’artillerie – 1904.

Les casemates décrites dans la note du 17 août 1899 sont destinées à abriter, dans les forts et ouvrages intermédiaires, les pièces de flanquement des intervalles. Elles sont armées chacune d’un canon de 95 millimètres monté sur affût G de côte. Cependant, comme préconisé, des études sont entreprises pour remplacer dans ces casemates le 95 millimètres de côte par le canon de 75 millimètres modèle 1897, des modifications seront entreprises pour l’installation de ceux-ci. Les pièces de flanquement doivent être au moins deux dans chaque direction à flanquer.
Pour soustraire les embrasures aux coups d’écharpe, on dispose les casemates en retraite, les unes sur les autres, celle d’avant étant elle-même couverte par un terrassement soutenu par un mur en béton.

CB Haudainville_008

La casemate de Bourges de droite du fort d’Haudainville (Verdun). Au premier plan, l’accès à l’étage inférieur et au fond la chambre de tir et son embrasure. © Mémoire & Fortifications – Olivier Le Tinnier.

Cette casemate est rendue réglementaire avec le canon de 75 millimètres modèle 1897 par l’Instruction du 18 octobre 1902 (complétée par celles du 14 novembre 1905, feuille additive concernant l’organisation d’observatoires à annexer aux casemates de Bourges, du 21 avril 1906, notice concernant les communications à établir entre les tourelles et leur observatoire et du 8 novembre 1906, une note complémentaire provisoire relative à l’organisation des casemates de flanquement armées du canon de 75mm). Toutes ces instructions seront abrogées par la note du 22 mars 1911 qui fixe l’organisation définitive des casemates de Bourges.

Coupe d’une casemate de Bourges.

Les deux premières casemates de Bourges (4 canons de 95 millimètres) sont installées au fort d’Haudainville (place de Verdun) entre 1900 et 1902 et les deux dernières (4 canons de 75 millimètres) construites, et magnifiquement restaurées, le sont au fort d’Uxegney (Vosges) entre 1910 et 1914.

Le coût de la construction d’une casemate sans armement est estimé à 90 000 francs-or.

Description des casemates

Plan d’une casemate de flanquement des intervalles, dite de Bourges. Le plan la représente équipée du canon de 95 millimètres. Collection Gallica.

Les casemates sont tracées de sorte que leurs embrasures soient défilées aux vues de l’ennemi.

Plan d’une casemate de Bourges, flanquant à gauche. Dessin Frédéric Lisch.

Elles comprennent un étage supérieur et un étage inférieur.

L’étage supérieur de la casemate de Bourges ouest du fort d’Uxegney. Il comprend : les deux chambres de tir (avec canons et volets d’embrasure) et l’observatoire avec son créneau de vision. A remarquer, les « gouttières » au-dessus des embrasures. Cliché Benoît Rolle.

À l’étage supérieur se trouvent les deux chambres de tir ou chambres à canon (une pour chaque pièce) et un observatoire. La chambre la plus près du mur d’aile est parfois appelée casemate numéro une et celle attenante, casemate numéro deux. Les embrasures des chambres de tir peuvent être obturées en temps de paix par des volets en tôle légère s’ouvrant vers l’extérieur. Ils ne servent qu’à empêcher de pénétrer dans la casemate par les embrasures, d’ailleurs ils doivent obligatoirement déposés lors des tirs pour éviter toute détérioration par l’effet de souffle de la pièce (notice du 12 février 1908).

Une inscription dans la casemate de Bourges du fort de Dugny (place forte de Verdun) : « Avant le tir enlever les volets de …» Cliché Vaubourg Cédric.

La casemate dispose d’un canon de rechange. Chaque chambre de tir renferme une armoire à munitions scellée dans le mur contenant 96 cartouches, dont 6 boîtes à mitraille, le reste en obus explosif et à balles. Les cartouches sont rangées comme des bouteilles de vin, laissant apparaître le culot de la douille avec son marquage d’identification. Seuls les obus explosifs sont rangés dans une ou deux armoires spécifiques blindées.

L’armoire à munitions placée près de chaque pièce à l’étage supérieur. Le culot de la douille reçoit un marquage à la peinture spécial en fonction du type d’obus serti sur la douille. En effet, le pourvoyeur placé derrière l’armoire ne voit que le culot des munitions et ce marquage lui permet de reconnaître chaque type d’obus sans avoir à sortir la cartouche de son emplacement. Le trait unique barrant le culot indique un obus explosif, les traits formant une croix indique un obus explosif à charge réduite, les deux traits parallèle indique un obus explosif modèle 1917, les traits formant « une croix de Lorraine » indique un obus explosif modèle 1918.

La casemate renferme une caisse à armement contenant l’outillage, les rechanges et les accessoires nécessaires au bon fonctionnement de celle-ci.

  Inventaire de l'armoire aux armements.Inventaire de l'armoire aux armements.

Les pièces tirent par des embrasures ; pour soustraire celles-ci aux coups d’écharpe, on les dispose décalées l’une par rapport à l’autre (en échelon refusé). Les chambres de tir sont couvertes par un mur d’aile.

Schéma des chambres de tir de la casemate de Bourges. Une casemate est dite : flanquant à droite lorsque la direction des coups dangereux est à gauche des pièces. Et inversement pour celle flanquant à gauche. In Service des canons sous tourelle et casemate et des mitrailleuses sous tourelle – 1911. Collection Gallica.

La casemate comprend également, un observatoire (de dimensions plus restreintes que les chambres de tir) avec un créneau de visée. Accolé aux chambres de tir, l’observateur, qui se tient debout, peut communiquer directement à la voix avec les chefs de pièces. On y accède (théoriquement) par une échelle fixe en fer.

Un goniomètre de siège sur son support dans un observatoire cuirassé. Cliché Jean Philippe Guichard.

Le créneau de visée de l’observatoire doit avoir une largeur intérieure de 0,40 mètre et une hauteur intérieure de 0,10 mètre. Son champ de visée horizontal est d’environ 60 degrés à l’œil nu ou avec une jumelle, et de 54 degrés environ lorsqu’on utilise le goniomètre de siège. Il peut d’ailleurs varier d’une casemate à l’autre. le champ de visée vertical s’étend de 12 degrés au-dessous de l’horizon à 13 degrés au-dessus, à l’œil nu ou avec une jumelle. Il s’étend de 10 degrés au-dessus avec le goniomètre de siège.

 Nomenclature du goniomètre de siège. Collection Guy François.Goniomètre de siège.Tambour gradué du goniomètre.Détail du plateau en bronze et ses traits de repère du gionomètre.      

Il est doté d’un goniomètre de siège dont la console, scellée dans le mur, supporte une rainure destinée à recevoir les pattes du goniomètre. Les parois sont déterminées au moyen d’une épure de manière à ce qu’un goniomètre ayant le centre de son œilleton au milieu du créneau voit toute l’étendue du champ de tir des pièces.

Le support de goniomètre de l’observatoire de la casemate de Bourges sud du fort de Choisel (place forte de Verdun). Cliché Vaubourg Julie. fortiffsere.fr

Si l’observation du terrain n’autorise pas des vues suffisantes du terrain, l’observatoire bétonné peut être remplacé par une cloche cuirassée d’observation comme au fort du Chanot (place de Toul).

L’observatoire cuirassé de la casemate de Bourges du fort du Chanot. Cliché Vaubourg Cédric – http://www.fortiffsere.fr

À l’étage inférieur, on trouve un magasin à munitions pouvant contenir jusqu’à mille coups pour les deux pièces et un logement pour l’équipage de la casemate. Il communique avec l’étage supérieur par une niche de ravitaillement d’où sont montées à bras d’homme ou par un monte-charge à bras l’approvisionnement en munitions. Ce transport vertical des munitions est assuré par un pourvoyeur se plaçant debout sur le sol de la niche. Il prend les munitions déposées sur une tablette par un munitionnaire en poste dans le magasin, après une translation verticale il les pose sur le sol de la chambre de tir, à la disposition de l’équipe de pièce. Ce magasin est généralement pourvu d’une porte en fer fermant à clé.

La niche de ravitaillement d’où sont montées à bras d’homme l’approvisionnement en munitions de la casemate. Image extraite du livret :  » Le fort de Vaux de Jean-Luc Kaluzko et Franck Meyer ».

Suivant les casemates, il existe une ou deux niches de ravitaillement (parfois absente). Deux plaques-support pour décapsuleurs sont fixées par des boulons à scellement au mur de l’étage supérieur, à droite et à gauche de la niche de ravitaillement. Si la casemate est équipée de deux niches de ravitaillement, il n’existe qu’un seul décapsuleur par niche (note du 17 mars 1910).

La protection des fusées à double effet (percutante et fusante) contre l’humidité et les chocs est améliorée au moyen de chapeaux d’étain appelés « capsules », très efficaces mais apportant une contrainte supplémentaire du fait de l’obligation d’employer un « décapsuleur ». Les « décapsuleurs » permettent d’arracher la capsule après l’introduction de l’ogive de la cartouche dans l’appareil. A l’issue du décapsulage, on peut utiliser le débouchoir. Ces capsules onéreuses seront abandonnées pendant et après la guerre. Photographie provenant du site internet : http://pages14-18.mesdiscussions.net

Les fusées-détonateurs sont stockées dans un caisson positionné en différents points de la casemate en fonction des circonstances. 

Il peut se faire qu’une pièce du canon, notamment son tube (dont un de rechange est présent dans la casemate) soit mise hors de service. Son remplacement exige une manœuvre de force qu’il est malaisée d’exécuter dans un espace restreint. Pour faciliter cette manœuvre, on a alors disposé dans l’axe des plateformes une voie aérienne sur laquelle se meut un chariot à galets. Les agrès nécessaires pour l’armement sont : un palan de 1 000 kilogrammes et une poutrelle à griffes munie d’une griffe fixe et d’une griffe articulée. 

On peut profiter de l’espace qui existe à l’étage inférieur ou supérieur de la casemate pour installer des bancs rabattables pour les hommes au repos. Quelquefois même, il est prévu un lit de camp pour cinq hommes.

GX00759UXcasemate

La casemate de Bourges ouest du fort d’Uxegney. Sur cette photographie, on remarque : la pièce de 75 millimètres et son affût de casemate, l’écouvillon (à gauche), la voie aérienne reliant les chambres de tir sur laquelle se meut le chariot à galets et les agrès. Au mur des bancs repliables. Cliché Benoît Rolle.

L’éclairage de la casemate est réalisé au moyen (note du 22 janvier 1909) :

  • de cinq lampes fixes placées dans des cages-appliques à serrure ; celle du magasin à munitions est installée à l’extérieur de ce magasin, face à la porte d’entrée ;
  • de deux lanternes portatives pour éclairer les organes de pointage, la hausse, le casier à munitions ;
  • une lanterne de débouchoir, à réflecteur parabolique fixée sur un support métallique amovible que l’on place sur le couvercle du débouchoir ouvert ;
  • un lot de quinze kilogrammes de bougies ;
  • un approvisionnement en pétrole de cinq heures par jour durant six mois.

lanterne

Le plus de Fortification et Mémoire : les lanternes de forteresse (en fin de l’article sur l’ouvrage de la Falouse).

« Plan de la casemate de flanquement pour deux canons 75 millimètres à tir rapide dite de Bourges ». In cours de fortification. Fortification permanente : cinq leçons sur les détails de la fortification actuelle par le capitaine Tricaud – 1909. Collection Gallica.

Plus de détails :

Le mur de fond de la casemate et le mur de garde (face avant) la casemate, sont établis dans les conditions réglementaires. Leur épaisseur est donc de 2,50 mètres et ils sont protégés par une épaisseur minimum de terre de 10 mètres mesurée horizontalement dans la direction des coups dangereux. Les murs de genouillère (face avant) des casemates et les murs de l’observatoire ont aussi 2,50 mètres mais cette épaisseur est réduite à 1,40 mètre devant les casemates et à 1 mètre devant l’emplacement de l’observateur. Si l’on a pu défiler que les embrasures, et non toute la surface des murs, on doit constituer ces parties en béton armé de manière à ce qu’elles résistent mieux aux projectiles qui pourraient les atteindre. On doit aussi avoir la précaution de peindre l’enduit de la couleur des terres avoisinantes, de manière que ces murs ne soient pas trop visibles de loin (le 3 mai 1910, note rectificative n°1 à l’instruction du 8 août 1899, sur l’emploi du béton de ciment et du camouflage à adopter dans les ouvrages de défense (section technique du Génie). Le mur en arrière des pièces a 2 mètres d’épaisseur et percé de larges créneaux 0,80 mètre par 3 mètres pour favoriser la ventilation. Dans la pratique, il n’est presque jamais possible de constituer ce mur de cette façon, car il se trouve en général exposé au choc direct des projectiles. On doit alors lui donner la même épaisseur et le même mode de protection que le mur de fond. La ventilation se trouve moins bien assurée. Les chambres à canon ont 2 mètres de hauteur, elles sont couvertes par une dalle armée de 1,75 mètre d’épaisseur au minimum. Cette épaisseur est supérieure à celle qui est réglementaire pour les dalles armées de 3 mètres de portée. Ce surcroit de solidité est ici nécessaire de manière que la dalle ne se cintre pas trop rapidement sous le choc des projectiles. Ce cintrement rendrait difficile le service des pièces dans une chambre ayant seulement 2 mètres de hauteur. L’épaisseur de la dalle est réduite à 1,20 mètre au dessus de l’emplacement de l’observateur. De plus, à cet endroit, on a surélevé la dalle de 0,20 mètre, de manière que le dessus arrive à hauteur du terrassement qui recouvre l’ensemble. Grâce à ces dispositions on peut donner au créneau de visée une cote assez élevée et par suite lui assurer de bonnes vues sur l’intervalle à battre.

La ventilation des casemates (note du 20 septembre 1910) :

Elle est assurée par un effet de courant d’air à l’arrière de la casemate. S’il est à craindre un « enfumement » des locaux, l’emploi d’un ventilateur à bras actionné par deux hommes pourra être employé. Il est destiné à créer au moment opportun un courant d’air de l’intérieur vers l’extérieur. Il existe aussi un conduit d’aération pour le local du sous-sol.

L’intégrité des casemates est assurée par une grille en fer. Suivant le particularisme des lieux, comme au fort d’Haudainville, l’entrée peut être défendue par un créneau de défense.

L’entrée et son créneau de défense de la casemate de Bourges de droite du fort d’Haudainville (Verdun). © Mémoire & Fortification – Olivier Le Tinnier.

Elles pouvaient être indépendantes, comme dans l’ouvrage des Fougerais (place de Belfort), intégrées aux casernements ou bien construites à l’intérieur du périmètre défensif du fort et reliées aux casernements par des galeries souterraines.

A suivre…

 

Print Friendly, PDF & Email