Quand la ligne Maginot se met à l’eau (1/3) ou la ligne Maginot aquatique

Un reportage d’une émission de télévision régionale montrait (trop) rapidement quelques ouvrages de la ligne Maginot aux bords d’étangs, ainsi qu’un mécanisme de mise en eau de zones inondables. Notre curiosité fut mise en éveil par cette fortification « aquatique ». Quelques recherches plus tard nous découvrons que nous sommes en présence d’une portion de la ligne Maginot dénommée : « ligne Maginot aquatique » [cette expression est la reprise du titre du livre de Paul Marque : « La ligne Maginot aquatique…celle qui résista dans la trouée de la Sarre en 1940″ publié en 1989 aux éditions Pierron]. Dans la première partie de cet article, nous verrons qui était André Maginot, puis brosserons en quelques traits les régions fortifiées de la ligne Maginot du nord-est avant d’étudier dans une deuxième partie l’hydrosystème défensif mis en place pour « ce morceau » de Ligne puis d’aller, dans la troisième partie, visiter cette portion aquatique.

En guise d’introduction, vous trouverez quelques mots sur la ligne Maginot et son artillerie dans l’article : canon versus cuirasse (3/3).

André Louis René Maginot

Né le 17 février 1877 à Paris, André Maginot effectue son service militaire à Bar-le-Duc au 94e régiment d’infanterie. À 26 ans il est directeur de l’Intérieur auprès du Gouvernement général d’Algérie puis, de 1910 à 1932, conseiller général de Revigny-sur-Ornain et il est élu député de Bar-le-Duc en 1910, mandat qu’il conserve jusqu’à son décès. Son premier combat parlementaire, il le mène en apportant son appui au projet de loi portant le service militaire obligatoire à trois ans. En 1913, il est nommé sous-secrétaire d’État à la Guerre.

André Maginot.

André Maginot.

Lorsque la Grande Guerre éclate il est affecté sur sa demande, comme soldat de deuxième classe, au 44e régiment territorial et participe à la défense de Verdun. Il opère sur le plateau de la Woëvre et obtient les épaulettes de sergent et deux citations. Le 7 novembre 1914, il est cité pour la troisième fois et obtient la prestigieuse médaille militaire. Le 9 novembre, toujours devant Verdun, il s’élance dans le bois des Haies où il tombe sur un fort parti allemand. Grièvement blessé à la jambe, il est évacué dans des conditions particulièrement éprouvantes. Sa jambe restera inerte et ce colosse de deux mètres ne se déplacera plus qu’à l’aide de cannes. Ultime distinction, la Légion d’Honneur, lui est décernée, le 12 mars 1918.

André Maginot au 44e territorial. Source Photo ECPAD.

André Maginot au 44e territorial. Source Photo ECPAD.

Le 19 mars 1917, il entre, comme ministre des Colonies dans le Cabinet Ribot. Il axe ses actions sur le recrutement des combattants coloniaux et l’exploitation des immenses ressources en matières premières de l’Empire colonial.

André Maginot est à l’origine de la création du ministère des Pensions, Primes et Allocations de guerre. Il en prend la tête le 20 janvier 1920. Il ne ménage pas sa peine pour honorer les obligations de la France envers ceux qui se sont battus pour elle : il instaure la carte et la retraite du combattant, les emplois réservés, l’Office National des Anciens Combattants et la carte du combattant volontaire. Le 15 janvier 1922, il obtient la consécration avec sa nomination au ministère de la Guerre. Ne souhaitant pas abandonner les ressortissants du ministère des Pensions, il cumule les deux postes de ministre de la Guerre et de ministre des Pensions jusqu’au 14 juin 1924, date de son départ du gouvernement.

André Maginot organise, à Verdun, la cérémonie du choix du Soldat Inconnu, le 10 novembre 1920 et allume la flamme, le 11 novembre 1923, sous l’Arc de triomphe.

« Pour le choix du corps, qui sera transporté au Panthéon, notre principale préoccupation est d’assurer de la façon la plus complète l’anonymat de telle sorte que les familles qui ont eu la douleur d’avoir un de leur membre perdu à la guerre, sans qu’il ait pu être identifié, puissent toujours rester en droit de supposer que l’être qui leur est cher fait l’objet de ce suprême hommage. » C’est par ces mots, le 3 novembre 1920, qu’André Maginot, ministre des Pensions, explicite la démarche du choix d’un soldat inconnu.

André Maginot, s’adresse à un membre du 132e R.I. : « Soldat, voici un bouquet de fleurs cueillies sur le champ de bataille de Verdun, parmi les tombes de tant de héros inconnus. Ce bouquet, vous allez le déposer sur un des cercueils… Ce cercueil sera celui du soldat que le peuple accompagnera demain, du Panthéon à l’Arc de Triomphe, suprême hommage que la France ait jamais rendu à un de ses enfants, mais hommage pas trop grand pour celui qui symbolisera et immortalisera la vaillance française et dont le sacrifice anonyme a sauvé la patrie, le Droit, la Liberté. » Auguste Thin dépose son bouquet d’œillets rouge et blancsur le sixième cercueil sur les huit disposés dans une casemate de l citadelle souterraine de Verdun.

André Maginot, s’adresse à un membre du 132e R.I. : « Soldat, voici un bouquet de fleurs cueillies sur le champ de bataille de Verdun, parmi les tombes de tant de héros inconnus. Ce bouquet, vous allez le déposer sur un des cercueils… Ce cercueil sera celui du soldat que le peuple accompagnera demain, du Panthéon à l’Arc de Triomphe, suprême hommage que la France ait jamais rendu à un de ses enfants, mais hommage pas trop grand pour celui qui symbolisera et immortalisera la vaillance française et dont le sacrifice anonyme a sauvé la patrie, le Droit, la Liberté. » Auguste Thin dépose son bouquet d’œillets rouge et blanc sur le sixième cercueil sur les huit disposés dans une casemate de la citadelle souterraine de Verdun.

Le 11 novembre 1928, à la faveur du retour de Poincaré aux affaires, il se voit confier le portefeuille des Colonies. Le 3 novembre 1929, André Maginot reprend les commandes du ministère de la Guerre, succédant à Paul Painlevé qui a largement préparé auparavant le dossier de la défense des frontières. C’est ainsi qu’il fait voter une première tranche de crédit de 3,3 milliards de francs destiné à une ligne de fortifications défensives des frontières du nord-est et du sud-est, celle-là même qui allait définitivement porter son nom.

Texte débattu à l’Assemblée nationale pour la construction de la Ligne portant son nom et inscrit sur le monument près du fort de Souville : « Quelle que soit la conception que l’on puisse se faire d’une guerre future, il est une nécessité qui demeure impérieuse, c’est d’empêcher l’invasion du territoire. Nous savons quels désastres elle peut accumuler, désastres tels que la victoire elle-même n’arrive pas ensuite à en compenser les irréparables dommages. Les organisations défensives des frontières  dont nous voulons l’exécution, n’ont pas d’autre but que de barrer la route à l’invasion toujours possible…Le béton vaut mieux à cet égard et coûte moins cher que le mur de poitrines. »

Il ne verra jamais l’achèvement de l’œuvre pour laquelle il s’est battu, car affaibli par ses blessures de guerre, il décède à 54 ans, dans la nuit du de fièvre typhoïde et est inhumé à Revigny-sur-Ornain le après célébration d’un deuil national. Ses obsèques nationales ont lieu aux Invalides, le même jour.

  Le monument dedié au sergent Maginot adossé au plateau forestier de Souville au bord de la D112. Dressé là où lui fut remis la médaille militaire, le monument évoque le caporal André Maginot blessé et soutenu par le soldat François-Joseph Jolas qui lui sauva la vie pendant la bataille de Verdun. Il fut inauguré en 1935 par le Président Albert Lebrun. Le groupe de soldats, un bronze de Gaston Bocquet, est adossé à une muraille (symbole des forts de Verdun) devant laquelle se dresse un bouclier, symbole de la ligne fortifiée qui jalonne les frontières de l'est, dont le financement fut obtenu par le ministre de la guerre André Maginot. Le monument à la mémoire d'Andre Maginot (explications illustration ci-dessus). Photographie Fortification et Mémoire.

Le concept de la Ligne Maginot et ses Régions fortifiées du nord-est

Le Rapport sur l’organisation défensive des frontières élaboré par la Commission de Défense des Frontières (la C.D.F. est créée le  31 décembre 1925, elle fait suite à la Commission de Défense du Territoire) est présenté le 6 novembre 1926. Ce document s’installe comme les fondations qui vont présider et fixer le cadre de la construction de la ligne Maginot. Cette vulgate de 105 pages (hors plans et cartes) est divisé en neuf chapitres.

Chapitre I

On propose de remplacer le concept de systèmes fortifiés, tel celui de Séré de Rivières, par celui de Régions fortifiées associant fortification et troupes de campagne couplées à une logistique permettant leur imbrication (routes, voies de chemin de fer, dépôts…).

L’idée de Région fortifiée y est définie ainsi : « Son front doit être d’une longueur  notablement supérieure à la double portée du canon adverse, et à cet égard, 60 kilomètres constituent, dans un pays d’aspect généralement découvert, un extrême minimum. Les bonnes dimensions sont en somme celles des rideaux défensifs du général Séré de Rivières, soit environ 80 kilomètres. »

Les buts de ces régions fortifiées sont, selon le rapport, de protéger la mobilisation, de favoriser une bataille à proximité de la frontière, d’économiser les forces au profit d’une offensive et d’obliger l’Allemagne à s’étendre sur les ailes pour passer par la Belgique ou la Suisse (ce qui amènerait d’autres pays à entrer dans le conflit). Les nouveautés du document sont d’abord qu’il ne se limite pas seulement au nord-est, car sont désormais pris en compte le Nord, les Ardennes, le Jura et les Alpes : Mussolini est à la tête du gouvernement italien depuis octobre 1922 et il ne cache pas ses intentions vis-à-vis de la Savoie et de Nice, tandis que la Belgique et la Suisse sont envisagés comme des champs de bataille possibles.

Chapitre II

  • On répertorie les voies d’invasion traditionnelles ; par le nord-est de Hunsrück, entre les Vosges et le Rhin, par la trouée de Belfort (si la neutralité de la Suisse est respectée).
  • On y indique les trois Région fortifiées qui vont barrer la route de l’ennemi : la région fortifiée de Metz-Thionville-Longwy, la région fortifiée de (la) Lauter et des Basses-Vosges, la région fortifiée de Belfort ou de Haute-Alsace.
  • Quant aux autres régions, leur couverture s’effectuera en fonction de leur sol : soit un front continu ou favoriser les manœuvres inter-régions.
L'organisation défensive des frontières en 1939-1940.

L’organisation défensive des frontières en 1939-1940.

Chapitre III

On s’intéresse à l’organisation défensive des frontières du nord-est et y est dévoilé le but des Régions fortifiées (R.F.) : contraindre l’ennemi à des attaques frontales ; en cas d’offensive sur les ailes, amener la Belgique et la Suisse à entrer dans le conflit aux côtés de la France ; protéger la concentration des troupes, économiser nos forces armées au profit de grands mouvements offensifs ; favoriser la conduite des offensives à proximité des frontières. Ce chapitre décrit également le rôle de chacune des Régions fortifiées.

  • La Région fortifiée de Haute-Alsace doit jouer un triple rôle : protéger Belfort, couvrir le flanc droit des Vosges et constituer une menace face à un ennemi débouchant en Haute-Alsace. Celle-ci prend en 1923 la dénomination de Région Fortifiée de Belfort. Elle sera finalement ajournée en mars 1928 par la Commission d’Organisation des Régions Fortifiées (C.O.R.F.) du fait des restrictions financières et à la faible probabilité d’une invasion allemande par la Suisse. Elle comprend quatre secteurs fortifiés  :
  • La Région fortifiée de (la) Lauter et des Basses-Vosges est à vocation défensive. Elle doit protéger l’Alsace et le flanc droit des armées opérant en Lorraine. Elle s’étend sur 80 kilomètres de la vallée de la Sarre au Rhin et comprend les secteurs fortifiés de Rohrbach, des Vosges et de Haguenau. La vallée de la Sarre en limite ouest, celle du Rhin à l’est devaient constituer deux obstacles naturels tandis que le secteur compris entre Bitche et Lembach, traversé par la zone montagneuse des Vosges du Nord, donc peu favorable à une offensive massive, restait plus légèrement fortifié. Une ligne d’organisations légères et une zone d’inondations suffiront, pensait-on, à en assurer la défense. 

 

  • La Région fortifiée de Metz s’entend sur 172 kilomètres et fait face à la Belgique, au Luxembourg et à l’Allemagne. Elle doit : protéger le bassin industriel lorrain et le flanc gauche des forces françaises en formant un arc-de-cercle de Longwy à Faulquemont en couvrant Thionville, procurer un espace nécessaire aux troupes pour contre-attaquer l’ennemi débouchant de la Sarre et former la charnière entre les armées de l’Est et du Nord. Les forts de Metz forment une position de barrage au centre de cette région fortifiée. Il s’agit de la Région fortifiée la plus lourdement armée avec sa voisine de (la) Lauter. Elle comprend cinq secteurs fortifiés  :

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La question des intervalles – au nombre de deux – qui existent entre ces Régions fortifiées y est également abordée.

  1. L’intervalle entre les Régions fortifiées de la Haute-Alsace et de (la) Lauter. Le Rhin est un obstacle naturel de qualité propre à ralentir une offensive. Ses rives seront pourvues d’une à trois lignes défensives.
  2. L’intervalle entre les Régions fortifiées de (la) Lauter, Basses-Vosges et Metz, Thionville, Longwy. La trouée entre ces deux Régions fortifiées est jugée assez sécurisante en raison de son étroitesse et de ses étangs. Et, si d’aventure, l’ennemi si risque, il offre son flanc à l’une ou l’autre des Régions fortifiées.

Chapitre IV

Ce chapitre traite du sort réservé aux anciennes places fortes. Cinq d’entre elles sont conservées dans le cadre de la Ligne Maginot. Trois serviront de position de barrage : Thionville, Metz et Belfort. Deux seront des points d’appui : Verdun et Toul. La place de Mutzig serait incluse dans le système de défense du Rhin. D’autres places fortes joueront un rôle particulier : Épinal et Paris en camps retranchés, Lille comme magasins d’approvisionnement. Strasbourg est déclarée ville ouverte et les autres places fortes sont déclassées.ou démantelées.

Chapitre V

On y aborde l’organisation d’une Région fortifiée et ses caractéristiques techniques.

« Dans son ensemble , la Région fortifiée à créer dès le temps de paix comprendra :

un appareil de commandement (postes d’observation et de commandement, réseau de transmissions […] ;

∼ une organisation de feu constituée par des ouvrages principaux et des ouvrages intermédiaires.

Les ouvrages principaux sont espacés de trois à cinq kilomètres maximum. Ils sont dotés d’un armement à tir extra-rapide destiné d’une part à battre les intervalles et les couloirs d’accès (canons, obusiers, lance-bombes, mitrailleuses) et de l’autre à défendre les approches et les dessus (mitrailleuses, pistolets mitrailleurs, lance-grandes). Tout engin à tir tendu est couplé avec un engin à tir courbe […].

Les ouvrages intermédiaires ont pour but de compléter le barrage continu des feux de mitrailleuses en avant de la lisière extérieure de la position de résistance, dans les intervalles entre les ouvrages principaux :

des abris de combat et de repos pour les réserves ;

des éléments de tranchées concrétisant le tracé de la position de résistance, placés de manière à créer une zone de servitude continue sur tout le parcours de la Région fortifiée.»

Chapitres VI, VII, VIII

Ces chapitres sont consacrés à l’équipement général des zones frontalières, du commandement et de la mobilisation dans ces zones et du coût de la Ligne.

Chapitre IX

On y traite du front des Alpes.

  • Le massif du Jura ne doit recevoir aucune nouvelle fortification, par contre les forts Séré de Rivières franc-comtois doivent être entretenus.
  • Dans les Alpes, les hautes-vallées doivent être barrées au plus près de la frontière au-dessus de Bourg-Saint-Maurice, Modane, Briançon et Tournoux, les intervalles montagneux étant gardés par des petits centres de résistance. En arrière, une route stratégique doit servir de rocade pour les réserves.
  • Pour le Pays niçois, les axes du littoral et des vallées descendant vers Nice doivent être barrés par une ligne d’ouvrages (barrages de la Tinée, de la Vésubie, de Sospel et de Menton) formant une petite région fortifiée.

 

Le rapport de la Commission est d’abord envoyé au ministre de la Guerre Paul Painlevé, puis examiné au Conseil supérieur de la guerre lors des séances du et sous la présidence du président Gaston Doumergue et de Painlevé. Le tracé des trois régions fortifiées et le projet de fortification des Alpes sont adoptés, mais les formes techniques font débat : notamment le maréchal Pétain propose de faire des fortifications moins coûteuses. Finalement, le ministre demande à la C.D.F. de trouver une solution plus économique (le gouvernement Raymond Poincaré mène alors une politique de rigueur).

A suivre…

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