Dans cette seconde partie d’article, nous nous intéresserons à l’homologue hollandais de Vauban, Menno van Coehoorn.
Nombre de fortifications établies dans le nord de la France offrent des caractéristiques presque identiques avec celles des Provinces-Unies [nom usuellement donné aux sept provinces du nord des Dix-Sept Provinces ou Pays-Bas espagnols en 1581 jusqu’à la création par les Français de la République batave (1795), puis du Royaume de Hollande (1806)]. Chez les Hollandais, le système de défense est assurée par des fossés en eau aux fonds plats et larges. La fortification est constituée d’une enceinte basse, sans revêtement, appelée fausse-braie, encerclant l’enceinte principale, également en terre.
Menno van Coehoorn
Si Vauban est bien connu, Menno van Coehoorn, en revanche, l’est beaucoup moins.
Menno, baron van Coehoorn est né en 1641 à Brisum non loin de Leeuwarden dans l’un des petits manoirs typiques de la petite noblesse de Frise (province du nord des Pays-Bas). Son père, un officier très expérimenté, lui inculque dès l’enfance le goût de la science militaire. À 16 ans déjà, il obtient le grade de capitaine de l’armée des États généraux espagnols [les États généraux est le nom porté par le parlement des différents Pays-Bas à différentes périodes de son histoire], après avoir été instruit par son oncle Fullenuis à la Haute école de Franeker [une Haute école est un établissement qui dispense un enseignement supérieur].
Batailles et travaux
- 1673 (Guerre de Hollande), c’est le siège de Maastricht où Coehoorn se distingue. Il y est en excellente compagnie avec Louis XIV, Vauban, John Churchill, duc de Marlborough [celui de la chanson, Malbrough s’en va-t-en guerre], le Maréchal, Duc de Villars [fait duc de Villars en 1705, il est blessé à la bataille de Malplaquet (1709), où les alliés victorieux subissent beaucoup plus de pertes que les vaincus, ce qui lui aurait fait dire : «encore une défaite comme ça, sire, et nous avons gagné la guerre !»] et Charles de Batz de Castelmore, dit d’Artagnan [il y trouve la mort atteint par une balle de mousquet reçue en pleine gorge selon certains témoins, au front selon d’autres, alors qu’il combattait un jour de relâche. Il voulait en effet aider de jeunes officiers subissant une contre-attaque sur une demi-lune que ses hommes avaient prise la veille. Quatre mousquetaires de sa compagnie se font tuer pour aller récupérer son corps très en avant dans les lignes hollandaises. Le lieu de sa sépulture est inconnu]. Les chroniqueurs écrivent que van Coehoorn y a été blessé et soi-disant, tiré quelques conclusions sur la guerre de siège.
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- 1674 (Guerre de Hollande), on le retrouve à la bataille de Seneffe (le récit de la bataille de Seneffe) où il est promu colonel et au siège de Grave où il travaille au siège jusqu’à la capitulation, le 26 octobre. Il est également supposé que pendant le siège de Grave a été utilisé un mortier de son invention : « le mortier Coehoorn » (voir en fin d’article).
!["Plan de Grave et du fort construit par Monsieur de Coehoorn dans l'état qu'il se trouve en l'[an] 1717" Collection Gallica.](http://fortificationetmemoire.fr/wp-content/uploads/2016/04/gJPG-1024x654.jpg)
« Plan de Grave et du fort construit par Monsieur de Coehoorn dans l’état qu’il se trouve en l'[an] 1717 » Collection Gallica.
- Le 11 avril 1677 (Guerre de Hollande), il est à Cassel, près de Saint-Omer, où les troupes françaises infligent une sévère défaite aux Hollandais. Les Français sont commandés par Philippe d’Orléans dit Monsieur, frère de Louis XIV. Au cours du combat, Philippe, connu pour sa mollesse et ses goûts efféminés, charge courageusement l’ennemi et transforme une situation compromise en victoire complète. [Lors de la bataille de Saint-Denis, les 14 et 15 août 1678, van Coehoorn est aux côtés de Guillaume III d’Orange. L’armée française, qui assiège la ville de Mons, est commandée par le maréchal de Luxembourg tandis que l’armée hispano-néerlandaise, qui vient porter secours à la ville, est sous les ordres de Guillaume III d’Orange ; le combat fait 2 500 morts chez les Français contre 4 500 tués chez les alliés. Cependant le duc de Luxembourg doit lever le siège de Mons, ce qui constitue un succès pour Guillaume III d’Orange].
- Dans les années 1680 Coehoorn participe à la modernisation des fortifications de Naarden. S’intéressant à la fortification et voyant que beaucoup de fortifications médiévales sont inadaptées en cas d’attaque par l’artillerie moderne, Coehoorn publie son premier ouvrage sur une nouvelle manière de fortifier en 1682 : Versterckinge des Vijfhoeks (fortification pentagonale). A l’appui de cet ouvrage, il lui est donné la tâche de reconstruire plusieurs fortifications aux Pays-Bas. C’est le début de son association permanente avec les places fortes de la Hollande. Il publie un second traité sur la fortification en 1685, qui a ensuite été traduit en anglais, français et allemand.
- En 1685, il publie son second ouvrage : Nieuwe Vestingbouw op een natte-op-lage Horizont que l’on traduit par : nouvelle fortification en site humide et bas. Dans cet ouvrage, il ne se prive pas de critiquer les fortifications de son homologue Paen (place forte de Naarden), ainsi que celles de son meilleur ennemi, Vauban.
- En juin 1689, il est présent au siège de Kaiserswerth (près de Düsseldorf). La garnison française se rend au bout d’un mois, après qu’un incendie eut détruit une grande partie de son approvisionnement.
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- En 1690 (guerre de la ligue d’Augsbourg ou de Neuf Ans), il se distingue à la bataille de Fleurus où l’armée française commandée par le maréchal de Luxembourg remporte la victoire contre les armées d’une coalition rassemblant les Provinces-Unies, les Impériaux, l’Espagne et l’Angleterre commandées par le général allemand Waldeck.
- En 1690, il est chargé d’améliorer les fortifications de Namur.
- En 1691, il commande la ville de Namur.
- En 1692 (guerre de la ligue d’Augsbourg ou de Neuf Ans), il est présent au siège de Namur au cours duquel les armées françaises commandées par Boufflers [la caserne militaire de la citadelle de Lille porte son nom] et Vauban assiègent pendant un mois la ville. La ville se rend le Les historiographes officiels rapportent que lors de la capitulation de 1692, l’entrevue entre les deux ingénieurs fut des plus courtoises. En fait, il ne s’apprécie pas. Le fort neuf ou fort Guillaume, nommé aussi fort d’Orange, est construit en 1690-1691 sur les conseils et avec les fonds de son allié Guillaume sur la montagne du Diable, par Menno van Coehoorn. Il complète le vieux château et le fort Terra Nova qui avait été construit en 1647 et il est achevé par des casernes et des ouvrages extérieurs, dans les années 1670.
- En 1695, il est nommé directeur général des fortifications. La même année, il contribue largement à la reconquête de Namur (juin-septembre), qu’entre temps Vauban a restaurée. Ce siège a duré deux fois plus de temps que celui de 1692, dirigé par Vauban.
- En 1702 (guerre de succession d’Espagne), il est l’ingénieur en chef au siège de Venlo. Menno van Coehoorn est chargé de diriger les travaux tandis que le prince de Nassau-Saarbruck commande le siège. Le baron de Heyden, prussien, et le Hollandais Obdam parviennent à ouvrir une tranchée sur les deux rives et investissent la place avec leurs troupes le 5 septembre 1702. Les assiégeants sont renforcés le 8 septembre 1702 par un corps de troupes de Munster, composé de 2 000 fantassins et de 500 cavaliers. Ce renfort leur permet d’attaquer avec plus de vigueur le fort. Le 18 septembre 1702, lord Cuts attaque le fort Saint-Michel avec le Royal Irish Regiment et le régiment du général Hukelem secondés par trois cent pionniers du colonel Blood. Les Anglais parviennent à prendre le fort Saint-Michel en faisant 200 prisonniers. Le 23 septembre 1702, les alliés bombardent la ville de Venlo et parviennent à créer une brèche par laquelle ils mènent l’assaut. Le commandant de la Badie et le comte de Varo, sous la menace de la population, décident de capituler. La garnison française sort par la brèche et est conduite, non prisonnière, à Anvers.
- En 1702 (guerre de succession d’Espagne), il est l’ingénieur en chef des sièges de Roermond (Pays-Bas) et de Liège.
- En 1703 (guerre de succession d’Espagne) au siège de Bonn, Coehoorn est chargé par le duc de Marlborough de prendre le fort Bourgogne. Le 4 mai au soir, le général Coehoorn fait mettre trois batteries de canons du côté droit du Rhin : une première composée de six canons pour détruire le pont flottant entre le fort de Bourgogne et la ville, la seconde de trente canons pour détruire la muraille avant du fort et la troisième de douze canons pour foudroyer le flanc droit du fort. De plus douze mortiers et dix-huit autres pièces sont positionnés dans la tranchée près de la troisième batterie. Le 9 mai, à la suite d’une large brèche dans les murailles du fort, Coehoorn décide de l’attaquer en soirée. 400 grenadiers soutenus par 4 bataillons montent alors à l’assaut du fort Bourgogne tandis que le commandant français du fort, Rabutin, fait évacuer le gros de sa garnison par bateaux vers la ville, de l’autre côté du Rhin. Le fort est pris par les Alliés dans la soirée. Bonn capitule le 15 mai.
- En 1703 (guerre de succession d’Espagne), il participe à son dernier siège, celui de Huy (Belgique). Huy dont Vauban vient d’y faire procéder à la réparation des fortifications.
Van Coehoorn décède en 1704 d’un accident vasculaire cérébral ou d’une crise d’apoplexie. Il est enterré dans l’église du village frison de Wijckel. Le site de sa tombe est ornée à sa mémoire par un grand monument, conçu par Daniel Marot et exécuté par Pieter van der Plas.
Aperçu de la fortification hollandaise
Les premières fortifications hollandaises du XVIe siècle se caractérisent par un emploi massif de la terre au détriment de la pierre, moins coûteuse et d’édification plus facile. Le tracé est simplifié : les bastions n’ont ni casemates, ni orillons ; l’angle de courtine est généralement de 90 degrés. Courtines et bastions en terre sont couronnés d’un parapet abritant les défenseurs. On trouve également toutes les composantes de la fortification bastionnée : la fausse-braie (pour battre les courtines), les entrées (avec pont-levis) percées au centre d’une courtine et encadrée par deux bastions. Et, dans le cas particulier de la Hollande, les eaux courantes sont séparées des eaux mortes par des batardeaux surmontés de dames. La fortification hollandaise utilise également les dehors : le ravelin, la bonnette, le chemin couvert et le glacis.
Les Hollandais recourent en outre à des inondations volontaires, transformant certaines zones en marécages infranchissables.
Profitant de leur empire colonial, les Provinces-Unies vont développer leur système dans leur nombreux comptoirs et colonies en Amérique du Nord, au Brésil, en Afrique et en Indochine. Dans la deuxième moitié du XVIIe siècle, ce système ne bénéficiant plus de perfectionnements tend à devenir obsolète.
Les systèmes défensifs de Menno van Coehoorn
Ayant acquis en vingt-huit ans une grande expérience de terrain, il conçoit le «système bastionné hollandais nouveau». En 1685, il publie Nieuwe Vestingbouw op een natte-op-lage Horizont que l’on traduit par : nouvelle fortification en site humide et bas. Ce traité critique en outre le système hollandais ancien, celui de son rival Willem Paen (architecte de la place forte de Naarden), et au passage celui de Vauban.
L’ensemble du système bastionné hollandais nouveau de Menno van Coehoorn est classifié lui aussi en trois systèmes ou méthodes.
Son premier système a été appliqué sur de nombreuses places en Hollande notamment Nimègue, Bréda et Berg-op-Zoom. Mannheim en Allemagne a aussi été fortifié de cette manière, cependant que le second système était lui appliqué à Belgrade et Timişoara.
L’ensemble de son système bastionné se caractérise par :
- l’emploi de la maçonnerie dans la partie inférieure de tous les ouvrages de façon à augmenter leur résistance à l’érosion, puisque les fossés sont remplis d’eau ;
- un bastion agrandi et doublé : une face haute commande une face basse, avec entre les deux un fossé sec battu par une tour maçonnée en forme d’orillon.
- l’orillon protège également le flanc qui, lui aussi, est doublé : un flanc haut et un flanc bas qui dirigent leur feux vers le fossé et les faces des bastions collatéraux ;
- les maçonneries des faces des bastions sont protégées par contre-gardes et des couvre-faces : les maçonneries des courtines sont protégées par une tenaille renforçant le feu des flancs et concourt à la défense du fossé ;
- une demi-lune munie d’un réduit : la demi-lune est partagée en deux par un fossé et un deuxième mur formant un noyau de résistance supplémentaire ;
- des places d’armes rentrantes renforcées par des traverses, des petits ouvrages maçonnées et des palissades ; ainsi renforcée, elle prend parfois l’appellation de lunette ;
- l’usage d’une enveloppe, placée dans le fossé, formant une ligne de défense continue ; elle est doublée par un fossé puis un deuxième chemin couvert et un glacis.
Comme pour Vauban, les trois systèmes de Menno van Coehoorn ne sont pas intégralement appliqués, mais ils influenceront l’école hollandaise de fortification jusqu’au XIXe siècle.

Modèle du front de fortification de Coehoorn (1er système, 1702). Collection musée des Plans reliefs, photographie Bruno Arrigoni.
Bergen-op-Zoom (ou Bergen op Zoom en néerlandais)
Les défenses de Bergen op Zoom sont considérées comme son chef-d’œuvre.

Plan-relief de la ville de Berg-op-Zoom (Bergen-op-Zoom) dans le Brabant septentrional (Pays-Bas). Construction : 1751. Restauration : 1814-15. Échelle : 1/600. Dimensions : 10,20 mètres x 6,55 mètres. Nombre de tables : 27 tables. Matériaux : bois, papier, soie, métal, peinture. © RMN (Musée des Plans-reliefs) / René-Gabriel Ojéda RMNGP

Sur ce plan de l’attaque de Berg-oop-zom en 1747. On y remarque les tranchées d’attaque et mines françaises et les contre-mines hollandaises. Collection Gallica.

Croquis des fortifications de Berg-op-Zoom. On y retrouve bon nombre d’éléments de la fortification bastionnée. Collection Gallica.
Le pré carré hollandais
Menno van Coehoorn a participé, lui aussi, à la mise en place d’un pré carré aux frontières des Provinces-Unies. Les villes le composant sont pourvues de nouvelles fortifications, de camps retranchés et de ligne de défense. L’ingénieur tire parti des conditions naturelles du pays : marécages, rivières et zones inondables existant entre ces villes. Il complète le dispositif par des forts d’arrêt et des redoutes sur les principaux accès.
″Le mortier Coehoorn″
Passionné d’artillerie, il invente en 1674 un petit mortier transportable de 12 pounder (130 millimètres) que l’armée des Provinces-Unies utilisera pendant deux siècles.
Coehoorn tente de résoudre un problème tactique particulier concernant la mobilité des mortiers. Souvent, la force assiégeante a besoin de la puissance de feu et de l’angle de tir important procurés par les mortiers qui fournissent un angle de tir de 45 degrés ou plus et avec un obus atteignant le sol sous un angle d’incidence proche de la verticale. Ils permettent de traiter des objectifs se situant au niveau des tranchées d’approche. Les mortiers lourds souvent utilisés dans le siège sont tout simplement trop lourds à manoeuvrer par les soldats dans ces positions avancées. Menno von Coehoorn conçoit un mortier de bronze clair, d’un calibre de 12 pounder (environ 130 millimètres) avec un alésage de 4,6 pouces, mesurant 13,5 pouces et pesant environ 80 livres, qu’une équipe de deux ou quatre hommes peut mouvoir avec une relative facilité. D’autres armées européennes ont emboîté le pas avec des armes similaires, les qualifiant de «mortiers pack» ou simplement de mortiers légers.
Conclusion
Vauban et son ″rival″ hollandais Menno van Coehoorn portèrent la fortification bastionnée à son plus haut degré d’efficacité. La philosophie de Coehoorn est semblable à celle de Vauban, en ce qu’il n’a jamais été lié à un système de fortification, étant toujours prêt à s’en écarter quand les exigences du terrain l’obligent. Ils adaptent la fortification à la nature du terrain, plutôt que d’essayer d’établir une forme géométrique sur un terrain inadapté. Coehoorn a couramment recours au système d’inondation dans ses fortifications de sorte que les points faibles peuvent être inondées si nécessaire, le terrain plat des Pays-Bas, facilitant la mise en œuvre de cette excellente technique.
Si Coehoorn, par sa volonté d’abréger les sièges, multiplie les pièces d’artillerie pour faire subir aux assiégés un déluge de feu, Vauban lui, plus soucieux des vies humaines emploie le système de tranchées d’approche et l’utilisation de sapes.
Vauban surclasse toutefois Coehoorn par le nombre de ses travaux, puisqu’il a remanié ou bâti de toutes pièces une centaine de places, mais il s’est distingué surtout par la souplesse de ses réalisations. Il lui advint d’adopter des plans rigoureusement géométriques quand il opérait en terrain plat, comme à Lille et à Neuf-Brisach, mais il a moulé sa fortification aux accidents du sol dès que la topographie locale postulent des adaptations. Des ouvrages comme Besançon, Briançon, d’Entrevaux, de Villefranche-de-Conflent sont des témoins remarquables de ce réalisme architectural.
Nous espérons que cet article vous aura intéressé tout autant qu’il fut passionnant pour nous à écrire. En tout cas, Fortification et Mémoire est heureux de vous faire partager le fruit de ses recherches.
Sources :
Bibliographique
- Vauban et l’invention du pré carré français – Bernard Crochet – 2013 ;
- La guerre de siège sous Louis XIV – Jean-Pierre Rorive – 2015 ;
- Places fortes, bastion du pouvoir – Nicolas Faucherre – 1989 ;
- Catherine Brisac, «Jean Errard de Bar-le-Duc–(1554-1610)» – Encyclopædia Universalis ;
- La Grande Encyclopédie Larousse – édition 1973 ;
- La route des villes fortes en Nord – François Hanscotte – 2003 ;
Internet
- wikipédia.org
- gallica.bnf.fr
- universalis.fr
- architectura.cesr.univ-tours.fr
- cheminsdememoire.gouv.fr
- museedesplansreliefs.culture.fr