Vauban vs Menno van Coehoorn (1/2)

  Portrait de Vauban.Portrait de Menno van Coehoorn.

Chaque fin du mois de mars, le 30 plus précisément, consultant son éphéméride ″spécial fortification″, Fortification et Mémoire se rappelle que ce jour marque le décès de Sébastien Le Prestre, marquis de Vauban (30 mars 1707).

L’occasion de se souvenir qu’à son époque, Vauban ne fut pas le seul à fortifier en Europe. Profitons en donc pour nous intéresser à son homologue néerlandais, le baron Menno van Coehoorn et pour mettre lumière leurs trois « systèmes ». Cet article peut être mis en relation avec troi autres, présents sur ce site : les reliefs de l’Histoire,Vauban ou l’attaque raisonnée et Mont-Dauphin : Villeneuve, Vauban et d’Arçon.

Mais auparavant, intéressons-nous aux trois principaux précurseurs de Vauban.

Les précurseurs français de Vauban

    Portrait de Jean Errad. Musée Barrois, Bar-le-Duc. Photographie Caroline Léna Becker, pendant l'exposition "Une idée, mille machines" du musée de l'histoire du fer.Portrait d'Antoine De Ville.Portrait de François Blaise Conte de Pagan daté de 1665.
  • Jean Errard, dit Errard-de-Bar-le-Duc (1554-1610). Auteur du premier traité français consacré à la fortification bastionnée, la Fortification réduicte en art et démontrée, publié en 1600, avec une subvention royale. Cet ouvrage fixe les règles de la fortification bastionnée. Cet ingénieur ordinaire du roi travaille aux fortifications du Nord. Jean Errard de Bar-le-Duc modifie celles de Doullens, Montreuil, Sedan et construit les citadelles d’Amiens et de Verdun. Errard est surtout connu pour son œuvre de théoricien : faire défendre la place par l’infanterie et ménager l’artillerie dont les tirs sont encore peu efficaces de face. Le principal inconvénient de son système défensif est d’avoir des bastions dont le plan à angles trop aigus ne présente pas toutes les garanties de sécurité pour les assiégés. En revanche, les bastions sont très développés, ils sont dimensionnés pour abriter deux cents fantassins tirant depuis les faces des bastions, larges d’environ 70 mètres, tandis que l’artillerie se concentre sur les flancs, larges d’environ 30 mètres, pour couvrir les fossés. Les bastions à oreillons permettent de déplacer plus facilement les pièces d’artillerie au grès des besoins et de les abriter. De plus, ils sont suffisamment éloignés les uns des autres pour la ligne de défense qui est calculée en fonction de la portée moyenne de l’arquebuse (environ 120 mètres) ; le front, c’est-à-dire la distance moyenne entre les saillants de deux bastions, ne pourra dépasser 240 mètres. Les bastions sont, comme les courtines, relativement élevés (20 mètres) et donc difficiles à escalader. Des chemins couverts assurent la défense des glacis ; des demi-lunes doivent protéger les portes percées dans les courtines. Ces principes vont être perfectionnés par les ingénieurs hollandais et par Jean Sarrazin qui fortifie le château de Saint-Amand-Montrond (Cher) pour les princes de Condé, en y faisant réaliser un triple réseau de fortifications bastionnées.
Défense d'une ville

« La défense d’une ville », planche extraite du traité de Jean Errard.

Le bastion à oreillons selon Jean Errard. Planche extraite de son traité.

Plan du château de Montrond avec ses trois fronts bastionnés vers 1650.

  • Antoine De Ville (1596-1657) est un ingénieur militaire français. Il renforçe plusieurs places françaises, dont Montreuil (Pas-de-Calais) et défend les places fortes de Picardie contre les Espagnols. Il participe au siège de Corbie (Somme) en 1636 et à la reprise de la ville par les Français. La République de Venise lui demande de fortifier Pula, un port d’Istrie (actuellement en Croatie). Il écrit Les Fortifications en 1628, qui influence Vauban, et un autre ouvrage sur les gouverneurs de place en 1639. On lui attribue en outre une grande part dans la construction de la machine de Marly. Correspondant de Galilée à la fin des années 1630, il laisse plusieurs ouvrages estimés, entre autres, l’exposé d’un système de fortification (1672, avec 63 planches).

« Le bastion du chevalier de Ville », planche extraite de son livre Fortification.

« Les demi-lunes du chevalier de Ville », planche extraite de son livre Fortification.

Modèle d’un front fortifié du système De Ville (1628). Cette maquette fait partie des collections des maquettes du Musée des plans-reliefs. Construite en 1832 à l’échelle 1/200 (240 centimètres sur 140 centimètres). © musée des Plans-reliefs – Bruno Arrigoni.

  • Blaise François de Pagan (1604-1665). Cet Avignonnais entre fort jeune au service du roi de France, participant dès 1621 aux sièges de Saint-Jean-d’Angély et de Clérac (Charente-Maritime). En 1623, il est ingénieur au siège de Nancy. En 1629, il acquiert un renom exceptionnel en forçant, à la tête des assiégeants français, les nombreuses barricades qui entourent Suse (commune italienne de la ville métropolitaine de Turin, dans le Piémont). Sa carrière militaire s’arrête en 1642. Devenu, en effet, aveugle à la suite de plusieurs blessures, Blaise de Pagan se consacre à l’étude des mathématiques et à celle des fortifications. Il publie en 1645 à Paris un Traité des fortifications qui a inspiré directement Vauban. Pagan tient à adapter le tracé bastionné d’une place au relief du terrain, idée reprise par Vauban. Il recommande aussi d’établir dans les bastions des retranchements intérieurs qui retardent la progression de l’ennemi et isolent le corps de garde, ce qui permet l’échelonnement de la défense en profondeur. Enfin, pour obtenir un flanquement efficace, il préconise que les tracés des bastions soient perpendiculaires à la ligne de la défense.

« Règle du quarré de la grande fortification sur la base de 200 toises ». Planche extraite de l’ouvrage : « Les fortifications de monsieur le comte de Pagan ».

Modèle du front de fortification de Pagan (1645). Cette maquette fait partie des collections des maquettes du Musée des plans-reliefs. Construite de septembre 1872 à novembre 1873 à l’échelle 1/200 (243 centimètres sur 165 centimètres). © musée des Plans-reliefs – Bruno Arrigoni.

Les systèmes défensifs de Vauban

Ces trois systèmes défensifs ont été décrits dans un but de classification et de systématisation par ses successeurs et non par Vauban lui-même pour qui : « l’art de la fortification ne consiste pas dans des règles et des systèmes, mais uniquement dans le bon sens et l’expérience ». Si cette systématisation rigide peut s’accorder des fortifications de plaine, telle la citadelle de Neuf-Brisach, elle ne peut se concevoir pour les fortifications de montagne ou maritime, où elle se heurte à la réalité du terrain.

Le premier système de Vauban

Une des représentation possible du « premier système » de Vauban. On y voit les bastions en forme « d’as de pique », la tenaille en avant de la courtine, la demi-lune en avant de la tenaille et toutes les composantes de l’avancée de corps de place (chemin couvert et places d’armes). Collection Gallica.

Il reste classique aux idées prévalant au XVIIe siècle et notamment celles de Blaise de Pagan. Les bastions sont de grandes tailles en vue d’y loger de l’infanterie et chaque face d’un bastion est défendue par le tir des pièces d’artillerie et de mousqueterie partant du flanc du bastion collatéral placé dans sa stricte perpendiculaire. Les murs d’escarpe, à la base des bastions et des demi-lunes, sont bâtis de manière à offrir le maximum de résistance, pour gêner l’avancée de l’ennemi et être le plus résistant possible aux tirs directs des canons ennemis. L’escarpe est à vue extérieure lointaine et la contrescarpe s’élève jusqu’au sol naturel. Le chemin couvert de la contrescarpe est bordé d’une solide palissade et barré de traverses mettant à l’abri des tirs latéraux et des ricochets. Les ouvrages hors de l’enceinte sont : la demi-lune dont les flancs sont battus depuis les faces des deux bastions l’encadrant et la tenaille remplaçant la fausse-braie médiévale. Cette tenaille est souvent un talus de terre ne touchant les murs des bastions, de façon à laisser libre le fond du fossé. Surmontée d’un parapet, la tenaille peut servir d’ultime point de résistance pour les fantassins après l’évacuation du chemin couvert.

L’angle mort a disparu. Les défenseurs doivent pouvoir croiser leurs feux alors que l’assaillant ne doit pas trouver d’angle de tir satisfaisant. C’est pourquoi la fortification se résume à une succession de lignes brisées.

L’espace nécessaire pour la construction de ces ensembles fortifiés est plus important car les places fortes doivent aussi regrouper les troupes et mettre en place d’éventuelles contre-attaques.

Modèle d’un front de fortification du 1er système de Vauban (vers 1675). Cette maquette fait partie des collections des maquettes du Musée des plans-reliefs. Construite de juin 1878 à novembre 1879 à l’échelle 1/200 (252 centimètres sur 167 centimètres). © musée des Plans-reliefs – Bruno Arrigoni.

On peut citer comme exemple de cette première manière de faire : le front de terre de Saint-Martin-de-Ré, les citadelles de Lille, de Maubeuge et de Longwy ainsi que la place forte de Mont-Dauphin.

Plan de la citadelle et du front de terre de Saint-Martin-de -Ré, daté de 1752. Sur le front de terre, on trouve : de larges bastions, les demi-lunes devant les courtines, le chemin couvert et l’absence de tenailles. Collection Gallica.

Le front de terre de la citadelle de Saint-Martin-de-Ré. Collection Géoportail

Plan et profil de la citadelle de Lisle, fait en l'année 1668

« Plan et profil de la citadelle de Lisle, fait en l’année 1668 ». Collection Gallica.

Longwy en 1754

Plan de la ville de Longwy daté de 1754. A remarquer sur la gauche un ouvrage extérieur : une corne (aujourd’hui disparue), destiné à occuper le bord du plateau. Collection Gallica.

Vue aérienne de la citadelle de Longwy aujourd’hui. On remarque les grands bastions. Sur celui du haut, on distingue la forme as de pique du bastion. Des demi-lunes sont encore présentes. Collection Géoportail.

Maquette de la citadelle de Longwy réalisée par monsieur Marc Thoquer. Cette maquette est visible au Carré Vauban Longwy-haut.Maquette de la citadelle de Longwy réalisée par monsieur Marc Thoquer. Cette maquette est visible au Carré Vauban Longwy-haut.Détail de la porte de Bourgogne sur la maquette de la citadelle de Longwy réalisée par monsieur Marc Thoquer. Cette maquette est visible au Carré Vauban Longwy-haut.Article de presse relantant le travail d'orfèvre de monsieur Marc Thoquer pour la maquette de la citadelle de Longwy. Cette maquette est visible au Carré Vauban Longwy-haut.      

Le plan de la citadelle de Maubeuge en 1680. Collection Gallica.

Mais ce système présente un défaut majeur : les tirs partant de la forteresse en direction de l’assaillant, pour contrarier ses travaux d’approche et ceux de la défense rapprochée lors de l’assaut sont assurés à partir de la même crête de feu, derrière le parapet du bastion. Si un bastion est mis hors de combat, dans les deux bastions collatéraux, une face n’est plus défendue créant une grande faiblesse au niveau du système de défense.

Le deuxième système de Vauban

Une des représentation possible du « deuxième système » de Vauban. Les bastions sont devenus des tours bastionnées et protégées par une contre-garde formant des bastions détachés, la tenaille en avant de la courtine est toujours présente, comme la demi-lune et l’avancée de corps de place. Collection Gallica.

Ce deuxième système va chercher à accroître la profondeur de la défense et à disloquer l’attaque. Pour pallier l’inconvénient du premier système, rendu encore plus vulnérable par la mise au point du tir par ricochet, Vauban sépare les crêtes de feu pour l’action lointaine de celles pour la défense rapprochée, en dédoublant son bastion par la création d’une contre-garde (B). Deux enceintes concentriques sont ainsi échelonnées en profondeur dans le fossé. L’enceinte extérieure, dite enceinte de combat, est constituée de bastions détachés (B) destinés à l’action lointaine. Celle-ci a des vues étendues sur le terrain environnant. L’enceinte intérieure, dite enceinte de sûreté, est constituée de tours à bastionnées (T) collées au corps de la place et cachées à l’ennemi par l’enceinte de combat ; restée intacte jusqu’à la chute de cette dernière, elle assure la défense rapprochée du fossé lors de l’assaut. Aux angles des courtines, Vauban place des tours à canons (tours bastionnées) construites sur un plan pentagonal et casematées. Si l’un des bastions est pris, le croisement des tirs en provenance des tours à canons « entraînent de grands dommages » pour les assaillants présents dans le fossé. Cette disposition, qui permet de conserver en service jusqu’au dernier moment les canons battant le fossé, présente aussi l’avantage d’obliger l’ennemi à pratiquer deux brèches pour réduire la place. Les tenailles sont disposées plus en avant dans les fossés pour faciliter la visée des fantassins.

On peut citer comme exemple de cette seconde manière de faire : Landau, l’enceinte de Belfort et Besançon.

Plan de la citadelle de Landau en 1702. On y retrouve le principal élément du « deuxième système » : les contre-gardes encadrant les tours bastionnées. Collection Gallica.

Remarquable ouvrage militaire, la citadelle de Landau sera rasée par l’armée prussienne en 1871 et il n’en reste plus aujourd’hui que quelques morceaux des fortifications et quelques édifices isolés dans la vieille ville comme « la porte d’Allemagne » (1688) ancienne porte d’accès à la citadelle. Photographie Poudou99.

Plan de Belfort daté de 1740. On y retrouve les contre-gardes des tours bastionnées. Collection Gallica.

Plan de Belfort de 1780. Collection Gallica.

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« Plan de la ville et citadelle de Besançon, Capitale de la Franche-Comté Avec tous les changements faits jusqu’à présent » daté de 1790. Collection Gallica.

Plan daté de 1714, montrant une tour bastionnée sous divers plans et coupes. Collection Gallica.Détail du plan-releif de Belfort montrant une tour bastionnée et sa contre-garde. Ce plan reliel (4,91 mètres sur 4,27 mètres) réalisé en 1755 et restauré en 1818 est conservé dans les archives du musée des Plans-Reliefs aux Invalides. © musée des Plans-reliefs - Christian Carlet.A Belfort, une vue aérienne d'une tour bastionnée et de sa contre-garde. Collection Géoportail.Une des tours bastionnées encore présentes de l'enceinte de Belfort. Ici, la tour bastionnée 41 et son échauguette.      

Une tour des tours bastionnées de l’enceinte de Belfort.

Un complément sur les tours bastionnées de Belfort : ici.

Le troisième système de Vauban

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Une des représentation possible du « troisième système » de Vauban. La courtine a perdu sa rectitude pour se flanquer, le bastion de demi-lune se dédouble avec la création d’un réduit de demi-lune. Collection Gallica.

Ce troisième système est l’ultime perfectionnement du second. Il vise à augmenter encore la résistance de la place en multipliant les ouvrages extérieurs. La courtine de l’enceinte de sûreté est pourvue de flancs supplémentaires, lesquels comportant des canons sous casemates, ainsi qu’en crête supérieure. Comme le bastion, la demi-lune se dédouble avec la création d’un réduit de demi-lune (R) possédant son propre fossé et, en théorie, la présence d’une caponnière entre le réduit de demi-lune et la tenaille. L’enceinte de combat est à demi-revêtement, ce qui signifie que la partie supérieure de l’escape n’est plus en maçonnerie mais en terre gazonnée associée à une haie vive. L’usage des tours à canons est amélioré car les artilleurs peuvent balayer plus efficacement l’espace au pied du rempart. Ce système peut se voir adjoindre par l’intermédiaire de ses fossés (lorsque cela est possible) un système d’inondation.

Modèle d’un front de fortification du 3e système de Vauban (vers 1695). Cette maquette fait partie des collections des maquettes du Musée des plans-reliefs. Construite de novembre 1880 à septembre 1882 à l’échelle 1/200 (230 centimètres sur 197 centimètres). © musée des Plans-reliefs – Bruno Arrigoni.

Le seul exemple de ce système est la citadelle de Neuf-Brisach (1698).

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Maquette de Neuf-Brisach. Cette maquette fait partie des collections des maquettes du Musée des plans-reliefs. Construite de 1703 à 1706 à l’échelle 1/600 (450 centimètres sur 340 centimètres) sur cinq tables. © Musée des Plans-reliefs. Photographie Fortification et Mémoire.

Vue aérienne d’une partie d’enceinte de Neuf-Brisach (porte de Bâle) mettant en exergue, le troisième système de Vauban. On remarque : les courtines à flancs associées aux tours bastionnées, la contre-garde, la tenaille et la demi-lune avec son réduit.

A suivre…

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