Les grands secteurs de la ligne Maginot sont aménagés prioritairement entre 1932 et 1934. Les différentes commissions se mettent d’accord pour ne pas fortifier le long de la frontière de la Sarre, région détachée de l’Allemagne par le traité de Versailles (1919), et qui pouvait, dans les 15 ans, par plébiscite, sinon se joindre à la France, du moins devenir indépendante et donc neutre. Cet espace vide de 35 kilomètres entre les Régions Fortifiées de la Lauter et de Metz est appelé « la trouée de la Sarre ». Il se présente comme une « porte d’entrée », un couloir pour un ennemi potentiel. Contrairement aux autres Régions Fortifiées, « la trouée de la Sarre » présente la particularité de ne pas comporter de gros ouvrages, ni d’avoir bénéficié d’importants travaux de fortification. Si cette zone ne dispose pas d’un système de fortification à l’instar des Régions Fortifiées, elle propose une fortification hydrique complétée par de nombreux blockhaus dans chaque secteur ; il s’agit d’organes de défense et de protection situés aux points stratégiques de la zone inondable, protégeant les barrages, les digues, les carrefours routiers ou les observatoires.
Cette « trouée de la Sarre » ou « trouée de Bénestroff » fait l’objet de notre troisième partie.
Le secteur fortifié de la Sarre ou la Ligne Maginot aquatique

Carte schématique montrant la position de la « Trouée de la Sarre » constituant une brèche dans la Ligne Maginot. Elle se présente comme une zone vulnérable où les positions défensives sont peu favorables. Collection Ascomémo-Hagondange. Collection Ascomémo-Hagondange.
Le Secteur Défensif de la Sarre s’étend des limites du Secteur Fortifié de Faulquemont (Lelling-Bois de Vahl Ebersing) jusqu’à celles du Secteur Fortifié de Rohbach (Sarralbe exclu). Il assure donc le lien entre les deux grandes régions fortifiées de Metz et de la Lauter. Ces frontières furent cependant très fluctuantes au gré de la réorganisation des corps d’armées et armées du front. Il deviendra Secteur Fortifié de la Sarre à partir du 15 mars 1940.
Il est l’unique secteur fortifié de la ligne Maginot dont la fortification est essentiellement basée sur l’utilisation des inondations défensives. Il ne comporte pas d’ouvrages d’artillerie ou d’infanterie type Commission d’Organisation des Régions Fortifiées (C.O.R.F.) et est constitué d’avant-postes, d’une ligne de résistance constituée de casemates Service Technique du Génie (S.T.G.) et de blockhaus construits par la Main d’Œuvre Militaire (M.O.M.) ainsi que d’une seconde ligne de casemates Commission d’Étude des Zones Fortifiées (C.E.Z.F.) dont la construction lancée tardivement en fin 1939 n’est que partiellement achevée.
La ligne principale de résistance est positionnée d’ouest en est sur les collines derrière la Nied Allemande, puis en arrière des étangs de Hoste, le Mutterbach (Moderbach), l’Albe et enfin le long de la Sarre. Ceux-ci assurent un obstacle quasi continu pouvant être largement renforcé par les inondations défensives.
Ainsi en l’absence d’une topographie favorable, c’est l’eau qui doit devenir un obstacle majeur, notamment contre les blindés. La région n’offre cependant pas d’intérêt stratégique, à l’exception relative du nœud ferroviaire de Bénestroff (lignes Metz-Strasbourg et Nancy-Sarreguemines).

Le nœud ferroviaire de Bénestroff (lignes Metz-Strasbourg et Nancy-Sarreguemines) matérialisé par le point orange. Source Géoportail.
La trouée de la Sarre utilise l’eau présente dans les vallées du Mutterbach, de l’Albe et de la Sarre. Afin de pouvoir submerger le lit majeur de ces rivières, huit barrages sont construits (cinq sur la Mutterbach, un sur l’Albe et deux sur la Sarre). Pour inonder rapidement et en toutes circonstances ces vallées, six étangs réservoirs sont constitués dans le secteur et deux autres dans le sud du département (Stock, Mittersheim). Ces étangs-réservoirs sont formés par des digues de retenue, équipées d’un système de vidange permettant d’inonder la zone en 36 heures.
Les barrages se présentent sous deux formes :
- ceux de la Sarre et l’Albe, entièrement en béton armé, laissent écouler l’eau au travers d’immenses ouvertures (pertuis) obturables à la demande avec des rails que l’on peut empiler en les faisant glisser dans des rainures ;
- ceux sur le Moderbach sont d’une autre conception ; nettement plus petits, ils sont constitués d’une levée de terre (renforcée de palplanches) traversant la vallée ; une ouverture permettant l’écoulement de la rivière est obturable également avec des poutrelles.
Chaque barrage est surmonté d’un hangar où sont stockées les poutrelles métalliques de fermeture des pertuis. La manœuvre des poutrelles s’effectue soit électriquement (cas des barrages de la Sarre et de l’Albe), soit avec des palans fonctionnant à bras d’homme (Molderbach). Les étangs-réservoirs sont munis de vannes manuelles permettant de déverser l’eau dans les biefs ainsi que de siphons évacuant le trop-plein d’eau.
Il s’avère nécessaire de construire des petits blockhaus défensifs sur les barrages de la Sarre, du pont-canal de l’Albe et du Moderbach. Ces petits postes défensifs, très sommaires et dont la construction est confiée aux entreprises chargées de celle des ouvrages hydrauliques, sont destinés chacun à un groupe de combat, avec fusils-mitrailleurs, en vue d’assurer de suite la défense rapprochée des barrages.
Pour mettre en œuvre les inondations, il suffit de fermer les barrages d’inondation sur les cours d’eau à l’aide de poutres stockés à proximité et d’ouvrir les vannes des réservoirs qui se déversent dans les biefs.
En gros, le système défensif hydrique s’articule en deux lignes d’eau de part et d’autre du saillant de Barst.
Le Conservatoire de la fortification de campagne du saillant de Barst

Le site du conservatoire de la fortification de campagne de Barst. Source ligne-maginot-aquatique.com
La mairie de Barst vous propose de découvrir au travers du «Conservatoire de la fortification de campagne», les vestiges de la Ligne Maginot « de campagne » en pleine nature sur un site aménagé.
Ainsi, par le biais d’un petit circuit, il est possible de découvrir les éléments ci-dessous.
- Un wagon « antichar » (unique en France), il s’agit d’un barrage de route. Il bloquait ici un chemin agricole.
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- Une casemate d’artillerie simple type S.T.G. modèle « Sarre » flanquant à droite, codifiée MC 22 (ou AC 1B) et dénommée « la Costaude ». Elle est équipée d’un canon de 75 modèle 1897 sur affût de casemate dit « affût de Bourges » [sur cet affût particulier, se reporter aux articles sur la casemate de Bourges]. Sa défense rapprochée est assurée par trois créneaux pour fusils-mitrailleurs. La casemate est construite en 1936 par des hommes du 1er Génie et du 23e R.T.A. (Régiment de Tirailleurs Algériens). Tenue par des hommes du II/82e R.M.I.F. (Régiment de Mitrailleurs d’Infanterie de Forteresse). Le 14 juin 1940, la casemate est prise à partie par des tirs des 88 millimètres allemands positionnés en fin de matinée entre Barst et Cappel, suite à la chute du village de Cappel.
Cet ouvrage, entièrement aménagé, est ouvert au public.

« La Costaude » dans son environnement. S’agissant de sa face arrière, l’on remarque : ses deux entrées au centre, à gauche un créneau pour fusil-mitrailleur et à droite, l’ouverture de tir pour le canon de 75 millimètres. Source lignemaginot.com
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- Un char léger FT embossé. Celui-ci ne dispose plus de son armement. La présence de ce char léger ayant connu son heure de gloire en 1918 et dont le glas a sonné dès 1934 pourrait étonner. Ainsi, devant le manque de char léger de remplacement (R 35, H 35 et FCM 36), ces chars légers continuent de rendre le service, notamment sur la Ligne Maginot. Les chars légers FT sont utilisés dans des missions de nettoyage des dessus des ouvrages en cas de parachutage ennemi et de surveillance des intervalles [ lire à ce sujet l’article concernant les chars FT sur la Ligne Maginot de Stéphane Bonnaud : « le 29e BCC dans la tourmente » paru dans GBM 122 ].
- La reconstitution d’une tranchée lors de 1940 (la tranchée des Coquelicots), cette tranchée est équipée de postes d’observation, d’un poste de commandement en tôle métro, d’abris…
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- Un char Hetzer et une sonnette près du wagon antichar.
- Divers matériels du Service Technique du Génie : la sonnette et une centrale à béton et ses wagons.
- Une tourelle démontable pour mitrailleuses modèle 1935 ou 1937, aussi appelée tourelle par éléments ou tourelle Dufieux est un cuirassement destiné à compléter la défense des intervalles ou l’ossature d’un point d’appui. La nécessité de disposer pour la fortification de campagne d’un système facile d’emploi et peu couteux permettant la mise à l’abri de l’infanterie d’une mitrailleuse et de ses servants a conduit la Section Technique du Génie à étudier dés le début des années 30 un cuirassement transportable et d’une mise en œuvre simple. Ces études déboucheront en 1935 sur la mise à disposition de l’infanterie de la tourelle démontable modèle 1935, laquelle sera suivi en 1937 d’une version légèrement améliorée (modèle 1937). La tourelle est dotée au titre de l’armement de deux mitrailleuses Hotchkiss 8 millimètres modèle 1914 dont une de réserve et est équipée d’un périscope d’infanterie modèle 1930 pour le modèle 1935 ou modèle ‘K’ pour le modèle 1937. Ce cuirassement sera le seul cuirassement destiné à l’équipement des positions de campagne développé spécifiquement dans les années 30, tous les autres cuirassements utilisés lors du conflit étant des cuirassements déjà en service en 1914-1918.
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La tourelle démontable, avec sa peinture de camouflage, pour une mitrailleuse Hotchkiss 8 millimètres modèle 1914 installée au pied de l’ouvrage de la Salmagne (Secteur Fortifié de Maubeuge). Il s’agit d’un emplacement reconstitué à titre muséologique Source wikimaginot.eu, auteur : Jan Pavel.
- Une guérite d’observation de forme pentagonale.

La guérite d’observation peinte en grise, au fond l’abri de commandement en tôle métro de la tranchée des Coquelicots. Source ligne-maginot-aquatique.com
- Une casemate du Service Technique du Génie double type A1 MC21 (ou MC 29B). Son armement se compose de 2 mitrailleuses Hotchkiss, de 2 canons antichar de 47 millimètres de campagne et 1 cloche G.F.M. type B non posée.

La face arrière (flanquement à droite) de la casemate MC21. On distingue : les entrées de la casemate (hommes et matériel), deux trémies pour fusil-mitrailleur et à droite, l’ouverture pour un des canons de 47 millimètres. Source lignemaginot.com

La face avant (flanquement à gauche) de la casemate MC21. On distingue : une trémie pour fusil-mitrailleur et à gauche, l’ouverture pour un des canons de 47 millimètres. Source maginot60.com
Le 15 juin 1940 : la casemate est prise en début de matinée, n’étant plus flanquée que par MC 7B.
Cette casemate a été à l’issue de gros travaux entièrement et magnifiquement réaménagée.
La casemate dispose d’un type d’affût pour mitrailleuse ressemblant au modèle A2 R pour mitrailleuse Hotchkiss. Voici un résumé de ce que l’on trouve sur cette trémie dans la Muraille de France de Philippe Truttmann. La conception de ce matériel remonte au début des années 1930 en vue d’équiper les embrasures des blockhaus de Bizerte et des ouvrages des avant-postes du sud-est. Il s’agit d’une version à joues concaves et munie d’un obturateur à rotule, prolongé, à l’avant, d’un carter blindé. Deux volets blindés à gonds inclinés suivaient automatiquement le carter, donc l’arme, dans le balayage du champ de tir, le tout complété par un affût spécial.
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Ces ouvrages, uniques en France, sont visitables et continuellement en restauration. Le site (2018) ouvre à la visite le premier et troisième dimanche de chaque mois d’avril à septembre.

La casemate reprend vie lorsque « des repas de soldats » y sont organisés. Source ligne-maginot-aquatique.com
L’articulation de la zone inondable autour de Barst
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- À l’ouest de Barst, l’on aménage le bassin de la Nied allemande. De Téting-sur-Nied à Barst-Marienthal (environ douze kilomètres), via Val Ebersing et Biding où la rivière Nied allemande est recreusée dans son lit afin de l’aménager en fossé antichar ; il en va de même avec le ruisseau Langenbach sur lequel sont aménagés quatorze seuils avec berges renforcées en béton. Ces seuils permettent de maintenir le niveau d’eau dans un ruisseau aménagé en fossé défensif antichar.

Sur cette photo aérienne de 1936 l’aménagement du Langenbach en fossé antichar et les seuils qui y ont été créés sont nettement visibles. La digue de Weiher avec son pertuis permettant l’inondation de la zoner non aménagée est visible sur la droite de la photo, là ou commence le fossé antichar. Source wikimaginot.
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- À l’ouest, également, au raccordement avec la Région Fortifiée de la Lauter, de Sarralbe à Wittring, sur 12 kilomètres, c’est la Sarre elle-même qui forme l’obstacle. Compte de tenu de l’importance du cours d’eau bénéficiant des précipitations consistantes de la région des Vosges (30 m3/s en moyenne en hiver), point n’est besoin de réservoirs d’appoint. Cependant, deux barrages importants sont construits sur l’Albe (Herbitzhiem et Writting) et la mise en place de la vidange du canal des Houillières.
La longueur des barrages les rend vulnérables. Leur renforcement est décidé. Des trains entiers de blocs de grès sont déversés dans les intervalles situés entre les deux rangées de poutrelles de chaque pertuis. Le tout couronné par une dalle d’éclatement en béton.
- Le barrage de Sarralbe, seul et unique barrage encore intact sur la Sarre, a été détruit durant l’automne 2001 (bâtiment) et le reste (pertuis) en 2008.

Le barrage de Sarralbe (reconstruit entre 1951 et 1958) avant sa démolition. Source lignemaginot.com
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- Le barrage d’Herbitziem.
Le barrage d’Herbitziem est le plus grand de tous les ouvrages construits dans le cadre du programme de 1932. Il comprend sept pertuis de dix mètres de large. Cet ouvrage est érigé entre 1932 et 1935 et lorsque les allemands arrivent en 1940, ils détruisent le barrage. Aujourd’hui, il reste quelques morceaux de sa structure, ainsi que le blockhaus. Il y a deux ans ce blockhaus a été rénové et il est possible, sur demande, de visiter les lieux.
Un document sur le barrage d’Herbitzhiem.
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Le barrage et les systèmes d’inondation sont protégés par des blockhaus d’infanterie.
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- Le barrage de Wittring comporte 7 pertuis de 7 mètres de large chacun. Un bâtiment métallique en partie haute assure la protection contre les intempéries des poutres qui sont stockées au droit des pertuis. L’obturation des pertuis se fait par la mise en place de poutrelles composées d’un profilé IPN et de deux poutres en bois destinées à assurer l’étanchéité. Leur mise en place se fait grâce à un système de pont équipé de palans motorisés couvrant toute la partie haute du barrage. Chaque pertuis est fermé par deux empilages de poutrelles entre lesquelles se déverse des déblais amenés par une voie de 60 circulant en partie haute du barrage. Un groupe électrogène situé dans un bâtiment annexe fournit l’électricité pour l’éclairage et les palans de manœuvre des poutrelles des pertuis.
Présentant des risques pour les populations dans le cas de fort débit de la Sarre, le barrage est détruit au début des années 1980 à la demande de la mairie de Wittring.
Non loin du barrage, on trouve la casemate d’infanterie de Wittring. Il s’agit d’une casemate C.O.R.F. simple construite sur deux niveaux. Elle présente la particularité d’être dotée de deux cloches d’arme mixte (A.M.) en sus de ses deux cloches G.F.M..

La façade arrière et l’entrée de la casemate. On remarque les deux projecteurs, les antennes radio, les cloches et son cartouche de datation (1938). Source wikimaginot.eu. Photographie : Grami.
Son armement se compose de :
- 2 cloches avec armes mixtes 25 millimètres antichars ;
- 2 cloches guetteur – fusils mitrailleurs ;
- 1 embrasure pour jumelage de mitrailleuses ou canon antichar de 47 millimètres ;
- 1 embrasure pour jumelage de mitrailleuses ;
- 2 embrasures fusil mitrailleur (défense de l’entrée) ;
- 1 embrasure fusil mitrailleur (protection coté chambre de tir).
Le courant électrique est normalement fournit par l’extérieur, quand cela est impossible, deux groupes électrogènes pourvoient aux besoins en électricité des troupes de la casemate et des avant-postes alentours.
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Une douzaine de soldats sont cantonnés dans la casemate lors de sa prise par la Wehrmacht le 21 juin 1940, lors des combats de la Sarre. En outre, la maisonnette située à coté de la casemate sert de cuisine pour la préparation des repas des troupes des casemates de Wittring et du Grand Bois (ouvrage se trouvant entre la casemate de Wittring et l’ouvrage du Haut Poirier).

Le casernement servant de cantine aux ouvrages autour du barrage. Source wikimaginot.eu. Photographie Bach.T
La Wehrmacht occupe la casemate de Wittring jusque fin 1944 / début 1945, date des combats avec les troupes américaines.
Les visites de la casemate sont possibles de mai à septembre, le troisième week-end de chaque mois entre 14 h et 17 heures ou encore en prenant rendez-vous. Association » l’amicale de la casemate de Wittring » : http://maginot-sf-sarre.de/
Le long de la digue, les abords du barrage sont sous les feux de six blockhaus pour armes d’infanterie.
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L’association les bergers des pierres, créée en juin 2015 réunit des passionnés de fortifications et d’histoire. Le but principal est intitulé dans le titre, faire partager leur passion au plus grand nombre par des visites de sites fortifiés en petit groupe dans toute la France avec documentations.
blockhaus de Wittring (bergersdespierres-moselle.fr)
- À l’est, de Barst-Marienthal à Sarralbe (environ seize kilomètres) et plus précisément en partant du ruisseau d’Hoste aménagé et se prolongeant par la Moderbach, puis l’Albe, se trouve la plus grande zone inondable. Hoste est souvent désigné comme la porte d’entrée de la Ligne Maginot aquatique. Dans cette zone, ont été mobilisé les ressources en eau les plus importantes et surtout, le secteur fait l’objet d’améliorations constantes jusqu’en 1940. Le projet de la vallée du Mutterbach utilise les eaux des étangs de Hoste Haut et de Hoste Bas, cinq digues déterminant cinq biefs d’inondation et quatre réservoirs à établir : Hirbach, Stangenwald, Diefenbach et Welschoff.
Description et principe de mise en œuvre de l’inondation du bief de Loupershouse
Les éléments constitutifs du système d’inondation du bief (zone inondée volontairement par l’ouverture des vannes des étangs de Hoste) de Loupershouse sont identifiés sur la carte ci dessus :
- l’étang réservoir de Hoste Haut (1) ;
- le canal de liaison aménagé pour faire face à l’érosion dû au ravinement de l’eau (2) ;
- l’étang réservoir de Hoste Bas (3) ;
- la rivière de la Hosterbach, affluent du Mutterbach (4) ;
- le barrage de retenue situé sur le Mutterbach au Nord-Ouest de Puttelange-aux-Lacs (5).
Les siphons qui régulent le niveau de l’étang sont abrités dans un local situé sur la digue. La vanne de vidange est implantée à côté de celui-ci. Lors de la mise en œuvre des inondations, l’étang reste sous eau et forme, comme l’étang de Hoste Haut, un obstacle face à l’ennemi. Les siphons assurent la régulation automatique du niveau de l’étang, mais peuvent également être utilisées pour « forcer » sa vidange.
Superficie de l’étang : 24,59 hectares, capacité : 156 400 m3, hauteur de digue : 5 mètres. Il est alimenté par le réservoir de Hoste Haut, lui même alimenté par la Nied Allemande.
Sa mission est l’alimentation du bief de Loupershouse auquel il est relié par le ruisseau de Hoste transformé en fossé antichar et antipersonnel.
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La goulotte à grenades ou goulotte lance-grenades ou encore, lance-grenades de fossé, présente dans de nombreux blockhaus de la Ligne Maginot, est destinée à la défense rapprochée des ouvrages à façade. La goulotte concourt à la défense immédiate des abords de la casemate en traitant les zones situées en angles morts pour les armes à tir tendu. de défense rapprochée, de même que les fossés diamant. La goulotte permet de projeter à l’extérieur des grenades défensives du type F1 modèle 1916 ou D 37. Elle se présente sous la forme d’un tube métallique noyé obliquement (45°) dans l’épaisseur du mur et surmonté d’un tube dénommé : tête de goulotte. Ce tube métallique débouche près du sol ou vers le fond du diamant. La partie supérieure du tube, faisant saillie à l’intérieur de la casemate, est terminée par un filetage extérieur qui permet de fixer la tête de goulotte. La tête de goulotte est un engin articulé entièrement en bronze ou en laiton d’un poids de 15 kilogrammes. Elle se compose d’une partie fixe se vissant sur le tube métallique et d’une partie mobile permettant l’ouverture de la chambre destinée à recevoir la grenade et possède un dispositif de projection.
Mode d’emploi : la tête de la goulotte étant fermée, pour projeter une grenade.
1° Charger la goulotte.
A cet effet, ouvrir la tête ‘de goulotte :
— déverrouiller la partie mobile en tirant le piston à ressort ;
— faire basculer à fond la partie mobile de la tête de goulotte en tirant fortement, à fond et en arrière, sur la barre de manœuvre.
Introduire une grenade dans la chambre intérieure, poussez la grenade juusqu’à ressentir une résistance résultant de l’appui du corps de la grenade sur le renflement de la cuiller. Saisir à travers l’ouverture du corps de la partie fixe, l’anneau de la goupille de sécurité du bouchon allumeur et l’arracher.
La pression exercée par la cuiller, poussée par son ressort, sur le corps de grenade, empêche cette dernière de tomber dans la goulotte et interdit toute ouverture du levier de déclenchement, bien que celui-ci soit dégoupillé.
Relever à fond la partie mobile de la tête de goulotte ; le verrouillage est assuré automatiquement par la pénétration de l’extrémité du piston à ressort dans son logement ; si le verrouillage n’est pas assuré correctement, ouvrir à nouveau la tête de goulotte et la refermer plus énergiquement.
2° Projeter la grenade.
Agir sur le poussoir d’un coup sec de haut en bas au moyen de la barre de manœuvre ; la grenade franchit alors le seuil de la cuiller, tombe dans la partie élargie de la tête et ensuite dans le tube métallique où le levier a la liberté de se déclencher, assurant ainsi l’amorçage de la grenade. L’engin explose 4 secondes plus tard, criblant les abords d’éclats de fonte.
Précautions à prendre : Avant d’introduire la grenade dans la tête de la goulotte, examiner le tube
métallique et la gaine en béton le prolongeant, pour s’assurer qu’aucun corps étranger ne les obstrue ; les dégager le cas échéant au moyen d’un ringard.
Dans bon nombre de blockhaus rudimentaires tels que l’on en trouve dans toutes les Régions Fortifiées, la goulotte est réduite à un simple tube sans tête de lancement dans lequel la grenade est lancée à la main.

Coupes latérale et frontale de la tête de goulotte. Source : instruction provisoire sur l’armement en service dans les casemates d’infanterie de région fortifiée du 12 août 1937.
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Le Hosterbach
Ce ruisseau, affluent du Mutterbach permet l’écoulement de l’eau des étangs de Hoste vers le bief de Loupershouse. Afin de toujours maintenir un niveau d’eau suffisant dans la rivière, on implante de façon régulière des seuils submersibles sur son tracé.
Le barrage de Loupershouse
Adossé au talus d’une route surélevée traversant la vallée du Mutterbach à la sortie nord-ouest de Puttelange-aux-Lacs, le barrage à poutrelles, ouvert en temps normal pouvait être fermé très rapidement.
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Le bief de Rémering est constitué d’un double rideau de palplanches recouvertes de terre. Cette levée de terre est probablement renforcée par un empierrement entre les palplanches et était recouverte de dalles bétonnées destinées à la renforcer face à l’artillerie ou l’aviation. Au milieu de cette levée de terre, deux pertuis bétonnés dotés de rainures verticales permettent la mise en place de rideaux de poutrelles empilées destinés à barrer le cours d’eau. Un portique encore visible en 2007 permettait la manœuvre des poutrelles.
Un dispositif de mines préparé (D.M.P.) est prévu pour assurer la destruction rapide de la digue en cas de besoin. Cette destruction aurait provoqué un flux important et l’ennoyage des parties situées en aval. La digue de Rémering est destinée à permettre la montée et le maintien en eau du bief de Rémering. Ce bief d’une contenance de 390 000 m3 d’eau est alimenté par le réservoir du Welschof et le bief de Puttelange (Mutterbach), lui même alimenté par le réservoir de Diffenbach. La montée en eau est prévue en 14 heures.La défense de la digue est assurée par le blockhaus R114 placé à cheval sur la digue elle même.
Le mémorial Redoute 117

Le 30 juin 2012, la commune de Rémering-les-Puttelange a inauguré le premier panneau d’informations de la Ligne Maginot Aquatique, réalisé en collaboration avec M. Philippe Keuer, membre de l’Association des Amis du Pays d’Albe de Sarralbe et de l’ASCOMEMO d’Hagondange. Source mosl-tourisme.fr
A l’entrée de Rémering-lès-Puttelange, le blockhaus R 117, initialement appelé Redoute 117, défend la digue élevée devant le village. L’équipage du blockhaus R 117 est issu de la CM 7 du 2/41 R.M.I.C. (Régiment de Mitrailleurs de l’Infanterie Coloniale). L’équipage de 4 hommes est commandé par le caporal Georges Berthet. Le blockhaus R117 est occupé à partir d’avril 1940. En mai 1940, en visite à Rémering, le général Hubert exhorte l’équipage : « Je compte sur vous, la redoute 117 est la position d’honneur de votre régiment » auquel le caporal Berthet aurait répondu : « Je prends l’engagement de résister jusqu’au dernier homme ! »
Le 14 juin 1940 il est fortement pris à partie par les 88 Flak et l’infanterie allemande lors de l’assaut. Tiré à vue depuis le cimetière sur l’autre rive, il repousse avec succès quatre tentatives successives de traversée du pont par les assaillants. Le caporal Berthet, blessé, est évacué dans la soirée. Le 15 juin, le blockhaus continue à tirer sporadiquement sur des éléments ennemis à portée. Ses défenseurs l’évacue en fin de matinée.

Photographie aérienne allemande datée du 3 juillet 1940. On distingue clairement le R 117 et la digue attenante. Source wikimaginot. Auteur : Christatus.

Sur cette photographie prise lors de la vidange de l’étang en octobre 2004. On remarque les trois entrées des siphons. Source http://coyote.pagesperso-orange.fr/vidangehirbach
- Le barrage-digue d’Holving
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Principe de l’inondation défensive du secteur du Hoste : interrompre l’écoulement de l’eau du Mutterbach pour en inonder le lit majeur.
Mise en œuvre :
Dès la réception de l’ordre de mise en œuvre de l’inondation, il faut exécuter un certain nombre de manœuvres.
- Fermer le barrage (repère 5) en engageant deux rangées de poutres en bois dans les rainures prévues à cet effet et combler l’espace entre les deux par des gravats pour rapidement créer un bouchon.
Le volume d’eau nécessaire pour créer l’inondation est de 260.000 m3. Cette quantité d’eau sera prélevée dans l’étang de Hoste Haut (capacité totale : 579.000 m3).
- Ouvrir les vannes des étangs de Hoste Haut (repère 1) et de Hoste Bas (repère 3). L’ouverture des vannes est telle que le volume d’eau qui s’écoule de l’étang de Hoste Haut est le même que celui qui sort au même moment de l’étang de Hoste Bas.
La hauteur d’eau et le volume (319.000 m3) restant dans l’étang de Hoste Haut après cette opération sont suffisants pour maintenir un obstacle important sur la ligne de front.
- Refermer les vannes des étangs repères 1 et 3 dès que l’inondation atteint son niveau maximum.
Ainsi on crée en 36 heures un obstacle infranchissable sans moyens spéciaux.
Le volume total de ces six barrages est de 6 415 130 m3 d’eau, se déversant dans des biefs formés par des digues de retenue construites sur le Moderbach (ou Mutterbach).
La ligne Maginot aquatique de nos jours
Délaissés et abandonnés totalement à partir des années 1950 pour leur valeur défensive, les hydrosystèmes militaires de la Ligne Maginot vont être progressivement restitués aux civils. Dans un premier temps, les étangs de la région de Puttelange, convoités sont transformés en bases de loisirs. Ils sont colonisés par les pontons de pêche ou par les lotissements de vacances nés de façons spontanées et chaotiques . Ce territoire des étangs se tourne résolument vers la valorisation d’un espace touristique et de loisirs (les étangs du Welschhof, de Diffembach, de Rémering-lès-Puttelange, de Hoste-Bas et de Hirbach). Ainsi le secteur de Puttelange s’est progressivement transformé en un petit pays d’étangs.
Aujourd’hui, les associations cherchent à valoriser ces legs dans une vision mémorielle, relayées parfois par les municipalités.
Les plus de Fortification et Mémoire
Libération du Mutterbach en ligne Maginot aquatique.
Une vidéo ligne Maginot aquatique : ici.
Le dépliant touristique de la Route de la Ligne Maginot aquatique : ici.
La ligne Maginot entre Moselle et Sarre : guide touristique.
Un autre type de fortification hydrique française : la ligne Chauvineau
Le système défensif mis en œuvre dans le secteur fortifié de la Sarre est dupliqué lors de la réalisation de la ligne Chauvineau étudiée dès 1931 et mise en chantier seulement en 1939.
Cette ligne de 130 kilomètres borde la région parisienne de la Seine à la Marne en s’appuyant sur les cours de l’Oise, de la Nonette, de la Grivette, de l’Ourcq et enfin de la Marne. Comme dans le cas de la Ligne Maginot, des systèmes d’inondations sont conçus le long de la Nonette et de la Grivette afin d’assurer à ces vallées un rôle défensif. Dans la vallée de la Nonette 13,5 kilomètres de cours entre Baron à l’amont et son confluent avec l’Oise près de Gouvieux, sont aménagés de portes et de seuils. Ainsi pour inonder la vallée, 21 obstacles à 22 obstacles obstruent le cours. Les surfaces inondées représentent une superficie d’environ 200 hectares pour un volume d’eau de 900 000 m3 à 1 000 000 de m3.
0.0.000222Le dispositif doit s’accompagner de la mise en chantier de positions de combat. Paradoxalement les travaux de construction sont relativement rapides et 300 casemates. L’interfluve Nonette – Grivette est partiellement obstrué par un fossé antichar. Le dispositif d’inondation est mis en œuvre le 6 juin 1940. Bien que plus de la moitié des ouvrages ont aujourd’hui disparu, la ligne Chauvineau entre dans des projets touristiques et dans une politique de valorisation, étayés par des associations.
Nous espérons que cet article vous aura intéressé tout autant qu’il fut passionnant pour nous à écrire. En tout cas, Fortification et Mémoire est heureux de vous faire partager le fruit de ses recherches.
Source
Bibliographie
L’histoire de la ligne Maginot – Jean pascal Sourdagne – Éditions Ouest-France 2006 ;
La ligne Maginot aquatique – Paul Marque – Editions Pierron – 1989
La ligne Maginot – Images d’hier et d’aujourd’hui – Gazette des Armes- numéro spécial – 1979 ;
Guide de la ligne Maginot – 39/45 magazine/numéro spécial – 1988 ;
Hommes et ouvrage de la ligne Maginot – Tome 3 – Jean-Yves Mary et Alain Hohnadel – Histoire & Collections 2003 ;
Sarre 1940 opération TIGER – Hors-série n°13 Batailles 2007.
Internet
wikimaginot.eu ;
wikipédia.org ;
lignemaginot.com ;
ligne-maginot-aquatique.com ;
bergersdespierres-moselle.fr