A l’occasion du centenaire de la guerre 1914-1918, Fortification et Mémoire s’en est allé sur le Chemin des Dames et vous entraîne dans cet article (en six parties), sur ses trois fortifications emblématiques : la Caverne du Dragon, les forts de Condé et de la Malmaison.
Nous profiterons de nos arrêts au fort de Condé, pour évoquer le système Séré de Rivières et au fort de la Malmaison, pour nous intéresser à la crise dite de l’obus-torpille.
Mais, avant de partir à la découverte de ces trois monuments, nous allons vous raconter l’histoire du Chemin des Dames, entre légende et réalité. Puis, nous vous ferons un résumé succinct des combats qui s’y sont déroulés, avec un aparté sur les offensives à objectifs limités.
Quand la légende fait son chemin
En quittant la nationale 2, l’ancienne « route des Flandres » menant de Paris à la frontière belge, au niveau de l’échangeur du Moulin de Laffaux, on pénètre sur l’entrée ouest de ce que le cadastre référence comme la départementale 18. Mais pour l’Histoire, elle est connue sous le nom de Chemin des Dames. Celui-ci débute au calvaire de l’Ange Gardien pour venir buter trente kilomètres à l’est sur la ville de Corbeny où, il rejoint la nationale 44 (de Reims à Laon).
Depuis le 14 juin 2014, le jardin de mémoire du Moulin de Laffaux est officiellement ouvert. Outre le monument national dédié aux crapouillots, on peut y voir les stèles régimentaires et individuelles du secteur occidental du Chemin des Dames, déplacées ces dernières années en raison des aménagements routiers.
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Le Chemin des Dames est une route de crête située entre les vallées de l’Ailette, au nord, et de l’Aisne, au sud, qu’il surplombe. Par extension, le Chemin des Dames désigne le vaste plateau s’étendant entre ces deux vallées.
Le Larousse en donne la définition suivante : « Construite au XVIIIe siècle sur l’emplacement de la voie romaine, la route moderne permettait aux « Dames de France », filles de Louis XV, de se rendre à Bouconville, au château de la Bove, chez leur dame d’honneur, la duchesse de Narbonne. ».
La thèse actuelle est quelque peu différente de cette définition. L’histoire débute le 26 août 1776, lorsque Françoise de Chalus , duchesse de Narbonne-Lara, achète le château de la Bove (ou Bôve, selon la date d’édition des cartes). Ce château domine le village de Bouconville-Vauclair et la vallée de l’Ailette. Cette acquisition consacre l’ascension sociale de cette auvergnate de petite noblesse.
A l’âge de quinze ans, Françoise de Chalus devient demoiselle d’honneur de la fille aînée de Louis XV, Marie-Louise-Elisabeth de France, la future Madame-Infante. Françoise de Chalus épouse, le 13 juillet 1749, le comte de Narbonne-Lara, de seize ans son aîné. De cette union vont naître deux fils : Philippe, duc de Narbonne-Lara (né le 28 décembre 1750 à Parme) et Louis-Marie, comte de Narbonne-Lara (né le 23 août 1755 à Parme), le futur ministre de la Guerre de Louis XVI de 1791 à 1792.
Séparée de son mari, elle entre, en 1761, au service de Marie-Adélaïde de France, la quatrième fille de Louis XV, devenant l’une des quatorze dames pour accompagner le roi. Elle passe également pour avoir été la maîtresse de Louis XV et, son fils Louis-Marie, pour un bâtard royal : la ressemblance avec le roi est si forte qu’on le surnomme « demi-Louis ». En 1780, Madame de Narbonne atteint le sommet de l’échelon social en devenant dame d’honneur et reçoit le titre de duchesse.
Cependant, le château de la Bove se trouve à l’écart des grands axes. Situé sur une crête, il ne dispose pour accès que d’un mauvais chemin sinueux, d’une largeur ne dépassant pas neuf pieds, permettant de rejoindre l’axe Soissons-Paris.
Mesdames Marie-Adélaïde de France et Sophie de France (la sixième fille de Louis XV), sont propriétaires du château de Louvois dans la Marne (à soixante kilomètres au sud-ouest de château de la Bove).
La duchesse de Narbonne-Lara arguant que Mesdames pourraient lors de leurs déplacements faire de « fréquents voyages » au château de la Bove, celui-ci, se doit donc de disposer d’une route carrossable élargie à trente pieds sur près de quatre lieues pour rejoindre l’actuelle nationale 2. A cette époque, les travaux des routes sont soumis au régime de la corvée royale : de six à trente jours par an pour les corvéables, souvent des ruraux non rémunérés, recrutés dans un rayon de quatre lieues. La construction de cette route représente quatre à six années de travail (soit 32 400 journées de corvées pour 600 corvéables des douze paroisses alentours). Des demandes sont envoyées à Le Pelletier, l’intendant de Soissons. Celui-ci renvoie une réponse polie, car il ne voit en cette route qu’un « chemin de traverse ». Néanmoins, sans doute à cause de l’insistance de Madame de Narbonne, les travaux commencent à l’été 1784 pour s’achever à l’été 1788.
Aujourd’hui, les chercheurs affirment que Mesdames Adélaïde et Victoire ne firent qu’un unique séjour au château de la Bove en septembre-octobre 1784.
La route ne servit même pas !
Cette route inhabituelle, sur un itinéraire très secondaire et les corvées qu’elle a nécessitées marquèrent durablement les esprits locaux. Les gens parleront longtemps de la « route des Dames ». Cette « route des Dames » fait de nouveau parler d’elle, le 7 mars 1814, lors de la bataille de Craonne. Près de la ferme d’Hurtebise (dont on reparlera plus tard), Napoléon bat les armées russes et prussiennes du général Blücher, au prix de 5 400 morts. Parmi ses jeunes recrues figurent celles que l’on appelle « Les Marie-Louise ». Ce surnom est donné aux 120 000 conscrits français des classes 1814 et 1815, appelés à servir l’Empereur par un décret de l’impératrice-régente Marie-Louise.
Malheureusement, la Grande Guerre va venir lui apporter une triste notoriété sous le nom de « Chemin des Dames », cette fois-ci, dans son intégralité.
Le Chemin des Dames au cours de la Première Guerre mondiale
Avec : la Marne, Verdun, l’Argonne, la Somme et Ypres, le Chemin des Dames demeure l’un des grands champs de bataille de la guerre 1914-1918. Son nom est surtout associé à l’offensive française du printemps 1917, mais il y eut d’autres combats au Chemin des Dames. Quatre ans durant, dès les premières semaines de guerre et jusqu’aux derniers jours du conflit, des hommes sont tombés, par dizaines de milliers, sur les flancs ou sur les crêtes du fameux plateau.
La première bataille de l’Aisne (septembre et novembre 1914)
Le Chemin des Dames est un terrain d’affrontement dès 1914. Le 31 août 1914, les troupes françaises sont obligées de quitter leur position du Chemin des Dames face à l’avancée allemande.
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La contre-offensive du 5 septembre 1914
Lancée par le général Joffre à partir du 5 septembre 1914, elle permet aux troupes françaises et anglaises d’atteindre l’Aisne, le 13 septembre, entre Vénizel (à cinq kilomètres au sud-est de Soissons) et Berry-au-Bac. La 10e division de cavalerie du général Conneau s’avance dans la plaine jusqu’à Sissonne entre la Ire armée allemande de von Kluck et la IIe armée de von Bülow. Des unités du 18e corps de la Ve armée française et des bataillons du 1er corps d’armée britannique prennent pied sur le plateau du Chemin des Dames.
La bataille de l’Aisne, de septembre à octobre 1914
Au matin du 14 septembre, les régiments du 18e corps s’élancent à l’assaut du plateau de Craonne et de la ferme d’Hurtebise. A leur gauche, le 1er corps britannique reçoit comme objectif la ville de Laon. En infériorité numérique, mais maîtres des hauteurs, les Allemands résistent le temps d’attendre l’arrivée de renforts, notamment le 7e corps de réserve qui vient d’obtenir la reddition de la place forte de Maubeuge. La percée franco-anglaise échoue. Au soir du 14 septembre, les combattants des deux camps creusent leurs premières tranchées sur le plateau. Dans les semaines suivantes, chacun espère encore percer sur le Chemin des Dames. La dernière tentative française se solde, les 12,13 et 14 octobre, par un sanglant échec. Dans la première quinzaine du mois d’octobre, les trois corps d’armée britanniques intercalés entre la 6e armée française à l’ouest et la 5e armée à l’est sont progressivement relevés par des troupes françaises. Les Britanniques ne reviendront sur le Chemin des Dames qu’au printemps 1918.
La ferme d’Hurtebise est, avant la Grande Guerre, une ancienne ferme cistercienne dépendante de l’abbaye de Vauclair. Le lieu-dit est aussi nommé l’isthme d’Hurtebise de par sa position sur la plus faible largeur du plateau du Chemin des Dames. C’est en cet endroit, que les vallées de l’Aisne (au sud) et de l’Ailette (au nord) sont les plus proches. Ainsi, la possession de ce lieu est hautement stratégique car il contrôle l’accès à la partie orientale du plateau du Chemin des Dames et domine les deux vallées. Il donne lieu à d’âpres combats dès septembre 1914, où la ferme est prise et perdue de nombreuses fois avant d’être finalement abandonnée aux Allemands, en feu et en ruines, par les Français. Le 16 avril 1917, c’est ici que la 10e division d’infanterie coloniale, composée des 33e, 52e et 53e régiments d’infanterie coloniale, ces deux derniers comportant des bataillons sénégalais, combattent dans ce qui reste de la ferme. La ferme d’Hurtebise retrouve une place centrale dans les combats du printemps et de l’été 1917. Elle est sans cesse prise et reprise par les deux belligérants, dont aucun ne parvient à stabiliser durablement ses positions dans le secteur. Il faut attendre le 2 novembre pour voir le calme revenir autour des anciens bâtiments. Le 27 mai 1918, c’est à nouveau un lieu d’affrontements au cours de l’offensive-éclair allemande. Après la guerre, la ferme d’Hurtebise est reconstruite pratiquement à l’identique. On s’y bat à nouveau fin mai 1940.
Plaquette sur Hurtebise, réalisée pour l’exposition : » La 1re bataille du Chemin des Dames sous le crayon du capitaine Nougarède », du 15 septembre au 15 décembre 2007, au musée de la Résistance et de la Déportation de Montauban.
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La guerre de positions, à partir de novembre 1914
Après six semaines de combats et des milliers de morts de part et d’autre, le front se stabilise dans le secteur du Chemin des Dames. Les Allemands se positionnent sur les hauteurs et les Français, dans la vallée ou sur les pentes. Il va s’en suivre « une guerre de positions » jusqu’à la grande offensive du printemps 1917.
Les tranchées du début de la guerre
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Les combats de la creute (25 janvier 1915 et 26 janvier 1915)
Depuis la fin de 1914, les Allemands sont maîtres de toute la crête du Chemin des Dames, à l’exception d’une petite zone autour des fermes d’Hurtebise (voir plus haut) et de la Creute. C’est l’objectif de l’attaque allemande qui débute le 25 janvier 1915 et, dont le succès est d’une importance stratégique, capitale pour la suite des combats sur le Chemin des Dames.
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Après une courte et intense préparation d’artillerie avec cent cinquante canons et onze Minenwerfer (lance-mines) qui pilonnent un secteur de cinq cents mètres de large, les fantassins allemands donnent l’assaut à 14 heures. Dès 16h30, les Saxons du 103e Infanterie-Regiment atteignent le bord du plateau dominant l’Aisne. Des soldats du 18e régiment d’infanterie sont assiégés dans la carrière de la ferme de la Creute (l’actuelle Caverne du Dragon) qui sert de poste de secours. Toute la journée du 26, les Français résistent à l’intérieur de la creute en attendant un éventuel renfort, mais se rendent vers 2 heures du matin. Des combats se poursuivent dans la journée du 26 janvier, autour de la ferme d’Hurtebise défendue par le 34e régiment d’infanterie et à l’ouest de la ferme de la Creute par le 6e régiment d’infanterie. Le 27, au matin, les Allemands sont maîtres de la totalité des anciennes positions françaises sur le plateau du Chemin des Dames.
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Cette victoire allemande est fêtée en Allemagne sous le nom de Bataille de Craonne, par référence à la bataille qui s’y était déroulée, le 7 mars 1814, entre les soldats de Napoléon Ier et les troupes russes de l’armée de Blücher.
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Ces combats ont été particulièrement meurtriers faisant plus de 2 000 tués (850 Allemands, 1 000 à 1 500 Français). De source allemande, 1 100 Français ont été faits prisonniers.
L’offensive Nivelle (16 avril 1917)
À la tête des armées françaises depuis le début de la guerre, le général Joffre est remplacé, le 13 décembre 1916, par le général Nivelle. En dépit des échecs sanglants des offensives d’Artois et de Champagne de 1915, puis de la Somme en 1916, le général Nivelle prépare le plan d’une nouvelle offensive entre Soissons et Reims pour le début de l’année 1917. Reprenant en partie un plan initié par Joffre, Nivelle promet d’opérer une percée décisive sur le Chemin des Dames « en 24 ou 48 heures ». Et, comble de malchance, les Allemands saisissent le plan d’attaque complet sur le corps d’un sous-officier français, dans une tranchée conquise. L’offensive qu’il déclenche, basée sur : « la surprise, la violence brutale et la rapidité », n’a donc pas l’effet de surprise escompté contre une défense très bien organisée.
Avant l’offensive
Plusieurs fois reportée et, même remise en cause (le 6 avril, Nivelle propose sa démission), l’offensive est fixée le 16 avril à 6 heures. Le général Lyautey (alors ministre de la Guerre, entre décembre 1916 et mars 1917) résume ainsi sa pensée : « Le plan Nivelle ? C’est du Kriegspiel. ». Sur un front de quarante kilomètres, entre Soissons et Reims, plusieurs milliers d’hommes ( vingt-six divisions) attendent l’arme au pied dans les tranchées. La longue et intense préparation d’artillerie (1 700 pièces d’artillerie de 75 mm et 2 750 pièces d’artillerie lourde) qui débute le 2 avril (550 obus par min), compromet tout effet de surprise, et surtout, ne détruit que très partiellement les défenses allemandes.
Il neige ce 16 avril, lorsque les premières vagues s’élancent, au son du clairon, à l’assaut des pentes fortifiées du plateau du Chemin des Dames. Sur un terrain difficile, elles se heurtent à des champs de barbelés, souvent intacts et, sont fauchées par le feu des Maxim allemandes. Malgré des pertes particulièrement élevées (30 000 tués et 100 000 blessés, côté alliés en dix jours du 16 au 25 avril) et, en dépit de ses promesses, Nivelle s’obstine au-delà des « 24 ou 48 heures » annoncées.
Cette offensive voit l’engagement massif des tirailleurs sénégalais. Les pertes énormes depuis 1914 rendent indispensables le recours aux hommes levés dans les colonies. Le général Nivelle accepte pour « mener l’offensive décisive », l’emploi de troupes indigènes. D’ailleurs, le général Mangin, commandant la VIe armée, celle devant entrer dans Laon au soir du 16 avril, espère trouver au Chemin des Dames l’occasion de faire triompher définitivement ses idées sur la « Force noire », du titre du livre éponyme qu’il a publié en 1910 (voir ci-dessous). Mangin place donc « ses » Sénégalais aux deux ailes de son armée et les fait attaquer à la fois autour de Vauxaillon-Laffaux et de Paissy-Hurtebise.
Vingt bataillons (15 000 hommes) sont rassemblés en première ligne. Les conditions atmosphériques (pluie, neige et froid) font que 1 400 d’entre eux doivent être évacués dès le 16 avril (pneumonies, engelures..). A la fin de l’offensive, les trois quarts de leurs effectifs sont hors de combat. Ils sont relevés dès le 18 avril. Le général Mangin, pour sa part, a gagné une réputation de « broyeur de Noirs », amenant Nivelle, à lui retirer le commandement de la VIe armée, le 29 avril.
Début mai 1917, les tirailleurs sénégalais sont de retour sur le Chemin des Dames où, ils combattent jusqu’à l’offensive de la Malmaison, fin octobre.
Pour en savoir plus :
Le choc de l’offensive Nivelle.
Les tirailleurs « sénégalais » au cœur de l’Offensive du Chemin des Dames.
Le front se fige
Jusqu’au 10 mai, arrêt définitif de l’offensive, les contre-attaques se poursuivent pour maintenir la ligne de front. Cette offensive est un cruel échec pour les armées françaises : Nivelle pensait que l’avance de l’armée serait foudroyante, Laon (quinze kilomètres au sud) devant être atteinte en fin de journée, mais le front allemand est à peine entamé. Pendant encore de nombreux mois, les armées allemandes et alliées vont se disputer le plateau.
Le bilan de cette offensive est difficile à obtenir. Les pertes alliées sont estimées à 350 000 hommes (morts, disparus ou blessés). Quant aux pertes allemandes, elles sont encore plus difficiles à évaluer.
Pour les troupes françaises : l’échec sanglant de l’offensive, les conditions de vie effroyables dans le froid, les déluges d’obus et le report des permissions; tous ces facteurs s’additionnant, provoquent une montée de la protestation parmi les hommes au front. La reprise des assauts en mai, dans les mêmes conditions qu’avril, entraine un refus des soldats de monter en première ligne. Ce sont le début des mutineries de 1917, avec « les fusillés pour l’exemple » et popularisées par la Chanson de Craonne.
La Chanson de Craonne :
Le plateau de Craonne :
Pour en savoir plus sur : Les fusillés de 1914-1918.
Le général Nivelle, surnommé « le boucher ou le niveleur », voit sa disgrâce avérée, en décembre 1917, lorsqu’il est nommé commandant en chef des troupes françaises d’Afrique du Nord, loin du front. Jean de Pierrefeu, le responsable des communiqués au Grand Quartier Général, raconte ainsi le départ du général Nivelle : « Le départ du général Nivelle se fit sans aucun apparat. Rarement généralissime disparut de la scène au milieu d’une pareille indifférence. Il était encore le maître qu’il avait, pour tous, cessé d’exister. »
Le général Pétain lui succède en déclarant : « J’attends les tanks et les Américains. »
Les plus de Fortification et Mémoire :
« La Force noire »
La prise de la Caverne du Dragon (25 juin 1917)
Ici, n’est abordée que la bataille emblématique de la Caverne du Dragon. Pour les autres combats livrés dans la Caverne, reportez-vous à la deuxième partie du présent article.
Au soir du 16 avril 1917, les troupes françaises ont pris pied sur le plateau, en direction de la ferme d’Hurtebise et de ce qu’il reste du Monument de la Bataille de Craonne de 1814, deux positions particulièrement disputées pendant tout le printemps et l’été 1917.
Le 4e régiment de marche de zouaves contrôle les entrées sud vers la vallée de l’Aisne, de ce que l’on commence à appeler la « Caverne du Dragon ». Mais les Allemands occupent toujours l’essentiel de la formidable forteresse souterraine qu’ils aménagent depuis 1915 et d’où ils lancent de vigoureuses contre-attaques.
Le 25 juin à l’aube, les Français essaient d’abord d’introduire dans la Caverne environ 200 m3 de gaz collongite (gaz suffocant et lacrymogène, employé à l’état gazeux, il est classé parmi les gaz les plus toxiques) en espérant asphyxier les occupants. En vain. Après une courte et intense préparation d’artillerie, l’attaque est lancée à 18h05 par 2 000 hommes précédés par des soldats équipés de lance-flammes. A 21 heures, malgré deux contre-attaques allemandes, la Caverne du Dragon est aux mains des Français, ceux-ci font plus de 300 prisonniers.
La bataille dite « des observatoires » se poursuit sur le Chemin des Dames jusqu’en juillet. C’est ainsi que le 26 juillet, les Allemands parviennent à reprendre pied dans sa partie nord. La Caverne du Dragon n’est restée entièrement française qu’un mois.
Grâce au nombre élevé de prisonniers, et aussi, avec ce nom mystérieux, de Caverne du Dragon, l’attaque du 25 juin connaît une médiatisation sans précédent. Les envoyés spéciaux des journaux parisiens sont invités par le haut commandement à interroger les prisonniers et les troupes ayant participé à l’attaque, notamment le 152e régiment d’infanterie (R.I.). qui obtient ici, sa quatrième citation avec la fourragère aux couleurs de la médaille militaire. Un détachement avec le drapeau du 152e R.I. est invité à participer au défilé du 14 juillet 1919, à Paris. En 1936, le général Gaucher publie l’historique de la 164e division d’infanterie sous le titre : « La Division du Dragon ».
Le plus de Fortification et Mémoire :
Les offensives à objectifs limités
La prise de la Caverne du Dragon n’a pas changé le cours de la guerre. Cette opération à objectif limité est conforme à la nouvelle stratégie du général Pétain décrite dans sa directive n°1 du 19 mai 1917. Celle-ci précise : « les dispositions à prendre et la conduite à tenir dans la phase de guerre actuelle », car « l’équilibre des forces adverses en présence sur le front du nord et du nord-est ne permet pas d’envisager la rupture du front suivie de l’exploitation stratégique. »
Si la directive n°1 fixe le cadre dans lequel va évoluer l’armée française jusqu’à ce que les conditions de la reprise de l’offensive soient de nouveau favorables. Reste à lui donner les moyens pour y parvenir, c’est ce qu’explique la directive n°2 du 20 juin 1917 : « les grandes unités devront, les unes après les autres, passer dans les camps et s’y préparer « à une action offensive d’ensemble par application des instructions du général en chef », c’est-à-dire en s’exerçant à décomposer l’action en plusieurs temps de façon que, pour l’attaque de chacune des positions adverses, on n’omette aucunes des nécessités fondamentales : action de reconnaissance, approche, puis assaut, en conditionnant toujours la progression de l’infanterie d’après les possibilités de l’artillerie….. .»
Cette doctrine est éprouvée, une première fois, par la 1re armée du général Anthoine, en Flandre, à partir du 31 juillet 1917. C’est ensuite au tour de la 2e armée du général Guillaumat d’entrer en action à Verdun, le 20 août. Enfin, le 23 octobre 1917, c’est l’affaire de la Malmaison. Ce sont trois succès.
La bataille de la Malmaison (du 23 au 26 octobre 1917)
Le front avant l’attaque
Suite à l’échec de l’offensive Nivelle, le général Pétain, après des mesures d’apaisement, prépare dans les moindres détails une offensive à objectifs limités dans le secteur ouest du Chemin des Dames, autour de la Malmaison.
Une offensive à objectifs limités
Cette offensive à objectifs limités est la seule où sont engagés des chars, en l’occurrence des Schneider et des Saint-Chamond. L’affaire de la Malmaison est menée sur un front de douze kilomètres entre Laffaux et Ostel. Le but de cette offensive est de s’emparer du secteur de la Malmaison et de la râperie de l’Ange-Gardien. Cette bataille est conduite par les trois corps d’armée à quatre divisions composant la VIe armée, commandée par le Général Maistre.
L’attaque d’infanterie est précédée, du 17 au 23 octobre, d’une intense préparation d’artillerie. Les six régiments d’artillerie déploient pour cette bataille : 812 canons de campagne (95 mm et 75 mm), 862 pièces d’artillerie lourde (du 105 mm au 380 mm) et 105 pièces d’artillerie lourde à grande puissance (A.L.G.P.). Soit, une densité d’une pièce de campagne tous les quatorze mètres de front et une pièce d’artillerie lourde chaque douze mètres environ. Trois millions d’obus sont tirés, de manière à ne permettre aux Allemands : « ni de dormir, ni d’être ravitaillés, encore moins d’être relevés. »
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Pour aller plus loin : l’artillerie lourde à grande puissance à la bataille de Verdun, le 20 août 1917.
Le front après l’attaque (secteur du Chemin des Dames)
Le 23 octobre, à 5h15, l’attaque part dans la nuit avec un ensemble parfait. Avant 6h30, le fort de la Malmaison est enlevé par un bataillon du 4e zouaves; ce n’est plus depuis longtemps qu’un amas de ruines. La ferme de la Malmaison est prise par le 31e bataillon de chasseurs à pied dès 5h45 : « le PC du Bataillon est dans la cave de la ferme, le fanion flotte sur ses ruines. ». Le 25, l’Ailette est atteinte au nord de Pargny et de Filain. Les Allemands préfèrent alors abandonner les positions qu’ils occupent encore sur le Chemin des Dames, à l’est de la ferme de la Royère et jusqu’à Craonne. Dans la nuit du 1er au 2 novembre, ils se replient au nord de l’Ailette, sur les hauteurs dominant Laon.
Tous les objectifs et résultats recherchés par le commandement français dans cette « remarquable » affaire de la Malmaison, sont atteints. Les Français occupent les pentes, descendant du plateau de la Malmaison, vers le nord, et les troupes bordent l’Ailette, depuis la forêt de Pinon jusqu’à Craonne. Le plateau du Chemin des Dames est entièrement sous contrôle français. Le bilan Français des pertes fait état de 14 000 hommes, blessés légers compris. Les statistiques allemandes (préparation d’artillerie comprise) font état de 8 000 tués et environ 30 000 blessés.
Dès 1917, beaucoup choisissent de faire de la victoire de la Malmaison, appelée parfois « victoire de l’Aisne », la clôture de la bataille du Chemin des Dames, pour en quelque sorte, conclure celle-ci de façon positive. « Monter à l’assaut de cette muraille en s’élevant de la plaine apparaissait une tâche formidable. Notre commandement ne la jugea pas au-dessus de la vaillance de nos soldats ; commencée à l’offensive du 16 avril, cette opération de longue haleine se terminait le 26 octobre par la magnifique victoire de La Malmaison. », écrit H. Carré dans « La victoire de l’Aisne ».
Cette victoire permet également, de mettre en avant la tactique de Pétain, contribuant ainsi à étayer le « mythe » né à Verdun. « Les dernières opérations, qui ont été exécutées selon la sage et prudente méthode qui fut naguère celle du général Pétain sur les rives de la Meuse et qui, sous l’impulsion énergique du même chef, commandant l’ensemble de nos armées, est appliquée aujourd’hui partout avec le minimum de pertes et le maximum de résultats. » (L’Argus soissonnais, 25 octobre 1917).
La suite de notre promenade sur le Chemin des Dames avec la visite de la Caverne du Dragon.