1870, la Marine embarque au fort de Bicêtre (1/2)

Carte : la Marine au siège de Paris, les forts de l'Est et du Sud. Gravé chez ERHARD EDITIONS. Atlas historique politique et historique de la guerre 1870.Faisant suite à des articles sur son pont-levis Poncelet et ses magasins à poudre, Fortification et Mémoire vous décrit au travers d’un article en deux parties, ce que fut l’activité du fort de Bicêtre durant le siège de Paris, du 15 septembre 1870 au 29 janvier 1871.

La première partie de cet article rappelle le contexte historique qui amène les troupes prussiennes devant Paris, une description de l’artillerie de rempart jusqu’en 1870 et les préparatifs du fort devant le siège qui s’annonce. Dans la deuxième partie, nous laissons le fort vous raconter les évènements qui se sont déroulés dans son enceinte et alentours. Nous nous contentons d’y ajouter des encarts historiques complémentaires.

Projetons-nous le 13 juillet 1870 …

Rappel historique

      Une affaire de dépêche

Le 13 juillet 1870, à la suite de sa rencontre avec l’ambassadeur de France, le comte Vincent Benedetti, au sujet de la succession au trône d’Espagne, le roi de Prusse Guillaume Ier rend compte de son rendez-vous au ministre-président Otto von Bismarck. Il lui adresse depuis Bad Ems (ville d’eau allemande dans le Land de Rhénanie-Palatinat), un télégramme lui annonçant que l’ambassadeur de France ne soutient plus la candidature de son cousin, le prince Léopold de Hohenzollern-Sigmaringen, le petit-cousin du roi de Prusse, au trône d’Espagne vacant depuis la déposition d’Isabelle II, en septembre 1868. Le roi de Prusse fait envoyer par son conseiller diplomatique, le jour même, un télégramme à Bismarck, qui est à Berlin, résumant l’entrevue. Dès réception du message, Bismarck qui estime que le roi de Prusse a agi par faiblesse, déforme la dépêche royale en lui donnant une tournure belliciste. Il y écrit que : « Sa Majesté le Roi là-dessus a refusé de recevoir encore l’ambassadeur français et lui a fait dire par l’aide de camp de service que Sa Majesté n’avait plus rien à communiquer à l’ambassadeur.». Ce texte, dit Bismarck à Von Moltke produira « sur le taureau gaulois, l’effet du chiffon rouge ». La France se sent insultée par la dépêche d’Ems.

Bismarck, qui a besoin d’une guerre pour renforcer l’unité Prussienne et aboutir au IIème Reich, utilise la dépêche d’Ems pour provoquer Napoléon III. Ce dernier, loin d’avoir la clairvoyance de son oncle, réagit vivement et entre en guerre, le 19 juillet 1870, alors que son armée n’est pas prête. L’alliance germano-prussienne mobilise 800.000 hommes contre seulement 250.000 pour la France.

La guerre de 1870 est rapide. Mal préparés, très inférieurs en nombre et très mal commandés, en un mois les Français ont essuyé une succession de défaites. A Sedan, au terme d’une bataille acharnée, l’armée française a capitulé et Napoléon III s’est constitué prisonnier. La bataille a fait 3.000 morts, 14.000 blessés et 83.000 soldats ont été faits prisonniers. Les armées prussiennes marchent sur Paris.

      Les conséquences de la capitulation

Après la capitulation de Sedan, le 2 septembre 1870, les armées prussiennes et leurs alliés déferlent sur le Nord de la France et se déploient afin de mettre le siège devant Paris. Dans la capitale, la nouvelle de la défaite parvient dans l’après-midi du 3 septembre. L’opposition parlementaire à Napoléon III, menée par Léon Gambetta forme un gouvernement provisoire, dit Gouvernement de la défense nationale.

Pour une intéressante description du tableau, cliquer ici.

La IIIème République est proclamée le 4 septembre, « par un beau soleil d’automne », depuis le balcon de l’hôtel de ville de Paris, et le gouvernement de la défense nationale est constitué. Ce gouvernement est composé exclusivement des députés de Paris ou de députés ayant été élus à Paris mais ayant opté pour un autre département (Gambetta, Jules Simon). Seuls les généraux Louis Jules Trochu et Auguste Le Flö ne sont pas des élus, mais considérés par les républicains modérés comme des anti-bonapartistes.

En voici sa composition :

  • le général Jules Trochu , président du gouvernement, gouverneur de Paris et général en chef de l’armée de Paris ;
  • Jules Fabre, ministre des Affaires étrangères et vice-président ;
  • Léon Gambetta, ministre de l’Intérieur ;
  • le général Adolphe Le Flô ,ministre de la guerre ;
  • Ernest Picard, ministre des finances ;
  • Jules Simon, ministre de l’instruction publique;
  • Pierre-Frédéric Dorian, ministre des travaux publics ;
  • le vice-amiral Martin Fourichon, ministre de la marine et des colonies ;
  • Adolphe Crémieux, ministre de la justice ;
  • Pierre-Joseph Magnin, ministre de l’agriculture et du commerce ;
  • Étienne Arago, maire de Paris ;
  • Émile de Kératry, préfet de police ;
  • Eugène Pelletan, Louis-Antoine Garnier-Pagès,  Alexandre Glais-Bizoin, Henri Rochefort, ministres sans portefeuille ;
  • Jules Ferry, secrétaire du gouvernement.

Avant le siège

     Le fort de Bicêtre dans la ceinture de forts détachés

Fortifications_Paris_et_environs_1841fort

Le fort de Bicêtre est intégré dans la ceinture des forts détachés, complément de l’enceinte de Thiers, constituée de quinze forts construits durant la période 1840-1850. Ils sont implantés à une distance variant entre 1.400 mètres (le fort de Bicêtre) et 3.000 mètres (la forteresse du Mont Valérien) du corps de la place, avec entre eux un intervalle moyen de 2.000 mètres. Hormis le fort Neuf de Vincennes, se sont les derniers représentants de la fortification bastionnée. Le fort de Vincennes, situé en arrière du plateau éponyme, n’est généralement pas pris en compte dans la défense de Paris. Il sert à mettre à l’abri d’un coup de main, des magasins militaires.

VincennesLe fort de Bicêtre couvre les accès sud de la capitale avec les forts d’Issy, de Vanves, de Montrouge, d’Ivry et de Charenton. De plus, avec le fort de Montrouge, il ferme le passage entre la Seine et la Bièvre.

Carte avant investissementComme son voisin de gauche, le fort d’Ivry, le fort de Bicêtre est construit sur l’un des deux monticules du plateau nord de Villejuif. Malheureusement, comme tous les forts du front sud, ils sont beaucoup trop rapprochés de l’enceinte bastionnée de la capitale, et de plus, les forts de Bicêtre et d’Ivry ne voient pas le terrain en avant, au-delà de deux à trois kilomètres, dominés qu’ils sont par le bord sud du plateau de Villejuif. Ce mauvais positionnement entraîne la construction des redoutes des Hautes-Bruyères et du Moulin de Saquet.

      La Marine occupe les forts

Le manque de prévoyance du temps de paix impose d’urgence le recours aux pièces d’artillerie de la marine, qui ont l’avantage d’être d’un calibre supérieur à celles armant les forts. C’est le général Cousin-Montauban qui fait amener des pièces de marine en prévision du siège inévitable de Paris (cette situation se renouvèlera quarante-quatre ans plus tard pour la place forte de Verdun).

La Marine va fournir :

  • 1 canon de 24 centimètres (photographies ci-dessous) ;
  • 28 canons de 19 centimètres ;
  • 183 canons de 16 centimètres.
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SAM_1199SAM_1202SAM_1203

Six forts sur les quinze de la première ceinture parisienne, que sont : Romainville, Noisy, Rosny, Ivry, Bicêtre, Montrouge et les deux batteries de Saint-Ouen et de Montmartre, sont confiés exclusivement à la Marine, tandis que la forteresse du Mont-Valérien et le fort de Nogent n’en reçoivent que des détachements. Cette mesure a pour but de conserver les artilleurs pour le service des batteries de campagne.

Pièce de

Portée en mètres

Poids en tonneaux

Poids de l’obus en kilogrammes

24

8.000

24

100

19

7.000

12

52

16

6.500

6

32

83d3816eafLe commandement en chef de ces six forts et de ces deux batteries est confié, le 8 août 1870, au vice-amiral Clément de La Roncière-Le-Noury.

Les forts “de la Marine”  forment deux subdivisions :

  •  trois des forts situés à l’est : Romainville, Noisy et Rosny, composent la première subdivision sous les ordres du contre-amiral Saisset, dont le quartier général est installé au fort de Noisy ;
C-475 (8)C-475 (3)
  • trois des forts situés au sud : Ivry, Bicêtre et Montrouge, composent la deuxième subdivision sous les ordres du contre-amiral Pothuau, dont le quartier général est installé au fort de Bicêtre.
C-475 (6)C-475 (5)C-475 (4)

Ces forts sont édifiés selon le système bastionné, les uns sur un quadrilatère, les autres sur un pentagone, suivant l’endroit. La longueur des côtés varie de cent quatre-vingts à trois cent cinquante mètres.

Ils présentent quelques défauts résultant de l’application du système bastionné aux polygones possédant un petit nombre de côtés :

  •  les bastions, très aigus, n’autorisent la mise en batterie que d’un nombre restreint de pièces ;
  • les projectiles tirés « à ricochet sillonnent les faces et prennent les bastions à dos » ;
  • les communications s’effectuent à découvert ;
  • les casernements à quatre niveaux sont trop visibles ;
  • l’absence d’abris voûtés dans les bastions et sur les courtines ;
  • les forts ont des escarpes de dix mètres, des contrescarpes de quatre à cinq mètres ; mais les maçonneries des escarpes sont mal défilées, car elles sont exposées sur deux mètres de hauteur, aux coups directs, et jusqu’à leurs pieds en tir plongeant.
le fort de NoisyVue aérienne du fort de Romainville, situé sur la commune des Lilas. 11 Août 1944. (cote 87Fi 18) AD93.

Tous ces ouvrages sont pensés en vue de la défense rapprochée de la capitale du temps où l’artillerie de siège porte à 1.600 mètres, l’artillerie de campagne à 800 mètres et les feux d’infanterie de 300 à 400 mètres. Alors qu’en 1870, les pièces de siège ou de place portent jusqu’à 8.000 mètres, l’artillerie de campagne jusqu’à 3.600 mètres et les feux d’infanterie entre 1.000 et 1.200 mètres !

Quand le fort se raconte et raconte…

     Les effectifs à la veille du siège

Dans les préparatifs du siège, je vois passer sur mon “Poncelet [ pour plus d’information sur ce type de pont-levis, vous pouvez vous reporter à l’article : « Il était une fois Poncelet ou l’âge d’or des ponts-levis »], les 1.269 marins qui, désormais, vont loger dans mes casernes.

Ce sont ceux :

  •  du 9e bataillon de marins avec six compagnies en provenance de Brest ; il est commandé par le capitaine de frégate Armand-Marie Fournier, qui est également le commandant supérieur du fort ; son effectif est de 729 hommes (officiers compris) ;
  • d’une compagnie du 11e bataillon du Louis XIV ; le vaisseau-école des canonniers qui fournit un contingent de matelots-canonniers ;
  • du 2e bataillon de marins-fusiliers à quatre compagnies, commandé par le chef de bataillon Darré avec un effectif de 419 hommes (officiers compris) ;
  • de la 27e batterie d’artillerie de marine (pour le service des mortiers) ; cette batterie est répartie dans les six forts et compte un effectif de 161 hommes dont 32 pour Bicêtre ;
  • d’une unité du Génie, commandée par le chef de bataillon Lestelle avec un effectif de 89 sapeurs.

Résidence du contre-amiral Pothuau, je suis placé sous le commandement du capitaine de frégate Armand-Marie Fournier, investi des droits et prérogatives que confère aux commandements supérieurs le décret du 13 octobre 1863, portant le règlement sur le service des places.

      Mon règlement du service intérieur

Le vice-amiral, commandant en chef, par ordre général du 13 août 1870, règle comme suit mon service intérieur.

 Article 1er. Les forts seront tenus comme des vaisseaux.

Article 2. Le service s’y fera conformément au décret du 20 mai 1868 sur le service à la mer, en tout ce qui ne sera pas contraire aux règlements sur le service des places.

Article 3. Les commandants des forts se conformeront aux observations qui leur seront faites par les commandants de place.

Article 4. Le plus ancien des lieutenants de vaisseau canonniers sera spécialement attaché à l’artillerie.

Article 5. Un officier sera désigné dans chaque bataillon pour remplir les fonctions d’armement. Un autre sera chargé du casernement,

Article 6. Tous les officiers habiteront les logements d’officiers dans les forts, excepté à Romainville, où le nombre des chambres est insuffisant. Des dispositions spéciales seront prises pour ce fort,

Article 7. Les officiers tiendront leur table dans les forts.

Article 8. Les commandants des bataillons se feront remettre la liste des hommes choisis pour être domestiques d’officiers, plantons, etc. Cette liste sera envoyée au commandant en chef.

Article 9. Le nombre des domestiques sera déterminé conformément au règlement sur le service à bord.

Article 10. Aucune permission ne sera accordée aux marins et quartiers-maîtres avant que le commandant en chef ait donné des ordres à ce sujet. Des officiers mariniers en petit nombre pourront en obtenir, s’ils démontrent que leurs familles habitent effectivement Paris. Ils devront être rentrés avant le coucher du soleil.

Article 11. Après le coucher du soleil, personne, excepté les officiers, ne pourra sortir des forts.

Article 12. La surveillance la plus active sera exercée au sujet de l’exécution des dispositions qui précèdent.

Un ordre complémentaire du 15 août précise que : MM. les officiers résidant dans les forts devront être toujours en uniforme. La tenue devra être correcte et absolument conforme aux règlements.

Un ordre général, en date du même jour, prescrit : qu’aucune personne étrangère aux forts ne devra y pénétrer, à moins d’être munie d’un permis nominatif émanant soit de la place de Paris, soit des commandants du génie et de l’artillerie, soit des contre-amiraux commandant en chef…. .

      En état de défense

Le 8 août, je suis mis en état de défense. A cette date, je possède ma dotation d’artillerie du temps de paix, dénommée armement de sûreté : dix pièces (des calibres 12, 16 et 24 livres du système Valée) et une batterie de campagne.

Cet armement et mon état général ne me mettent pas en état de soutenir un siège :

  • mes embrasures ne sont pas prêtes ;
  • absence de poudrières de service sur mes bastions ;
  • absence de traverses, de pare-éclats ;
  • ma cour est encombrée de divers matériels, principalement destinés à renforcer l’enceinte de Thiers.

Pour pallier cette situation, les autorités :

  • m’allouent un budget de 72.000 francs pour mes travaux de défense ;
  • stockent dans mes magasins pour soixante-quinze jours en moyenne d’approvisionnements de toutes sortes (vivres de campagne, effets d’habillement, chauffage, luminaire, savon et tabac) ;
  • installent des pièces d’artillerie supplémentaires, celles provenant des arsenaux de l’Atlantique ;
  • font construire par le Génie, les poudrières de service absentes de mes bastions, des traverses, des abri-traverses, des pare-éclats dans ma cour et un masque devant ma porte ;
  • consolident mes casernes; les étages inférieurs sont étayés et les planchers sont blindés avec des sacs de sable ;
  • mettent en place 65.000 sacs de terre sur les courtines, les bastions, en renforcement des murs du fond des casemates sur une épaisseur de trois mètres, des murs des magasins à poudre et certainement jusqu’au premier étage des casernes ;
  • m’affectent un médecin de la marine et installent une infirmerie de vingt-quatre lits disposant de tous les médicaments et du matériel nécessaires ;
  • positionnent un aumônier de la marine, l’abbé Lucas.

Des reconnaissances, dites “promenades militaires” sont ordonnées aux officiers et aux hommes, sur mon glacis et aux alentours, pour qu’ils se familiarisent avec l’environnement. A Bicêtre, comme dans les autres forts, on surveille les carrières qui arrivent près de mes glacis, sous l’actuelle Faculté de Médecine et autour. Ces carrières souterraines, de calcaire grossier, sont exploitées comme pierre à bâtir. On note également, la présence sous le pourtour de mes fondations de carrières souterraines de gypse.

      Mes communications

Je suis relié à mes voisins (les forts de Montrouge et d’Ivry), ainsi qu’à la capitale par des fils télégraphiques. Je suis également muni d’une communication “aérienne” au moyen d’un mât, d’une vergue et d’un télégraphe marin à pavillons.

Pour remédier à la coupure des fils télégraphiques et assurer la continuité de la liaison, les marins disposent d’appareils de télégraphie optique à une ou deux lunettes. Ces appareils sont capables de couvrir une distance de vingt kilomètres, soit la plus grande distance du camp retranché, entre la forteresse du Mont Valérien et le fort de Nogent.

Pour les signaux de nuit (en complément ou non de la télégraphie optique), on utilise le système Godard. Ce système consiste en un fanal armé d’un puissant réflecteur et muni de deux écrans mobiles, l’un opaque, l’autre rouge. Le jeu alternatif de ces écrans donne plusieurs combinaisons de chiffres qui se traduisent dans le dictionnaire télégraphique marin. Un code de signaux complet à l’usage du siège est rédigé. Les codes de chiffrement sont remis à chaque commandant de fort.

     Mon armement à la veille du siège

L’ensemble des données de ce chapitre ne sont que des indications moyennes théoriques. La composition du parc d’artillerie, comme le nombre de pièces, diffèrent d’une source à l’autre.

Les canons sont disposés sur les courtines et les bastions

Disposées sur les terre-pleins des courtines et des bastions, les pièces sont protégées par un parapet engazonné, que l’on répare continuellement durant le combat. Dans le tir à embrasure, le parapet est entaillé d’échancrures revêtues latéralement de fascinages. Les servants sont bien couverts, mais le champ de tir est limité et, l’embrasure attire les coups ennemis. Dans le tir à barbette (ou en barbette), généralisé après 1870, les hommes sont plus exposés, mais le champ de tir est plus étendu et l’emplacement reste plus discret. Quant aux mortiers, on les abrite derrière un obstacle quelconque, voire dans une cour ou un fossé.

Contre les tirs d’enfilade, les terre-pleins sont recoupés de traverses, masses de terre ou de maçonnerie renfermant parfois un abri à munitions, de stockage ou pour les servants. A l’arrière peut se trouver un parados, absorbant les coups trop longs et arrêtant les coups de revers, lorsque la batterie y est exposée. Les transports (matériels et munitions) s’effectuent par des passages ou des rampes praticables par les attelages ou par de petits chariots.

Capture d’écran 2012-05-08 à 20.31.07      L’artillerie de rempart

L’artillerie de rempart consiste en des pièces d’artillerie lourdes : 12, 16, 22 et 24 centimètres montées sur des affûts spéciaux dits : de place ou de siège. Plusieurs fois amélioré jusqu’au modèle 1847, cet affût en chêne se prête mal au transport, mais le service est rapide et fiable. On trouve une variante par calibre et, après 1851, un affût standard pour l’ensemble des pièces de campagne.

L’affût roule (galets à l’intérieur des roues) sur des rails de bois assemblés en châssis. La crosse glisse sur la pièce centrale du châssis et freine le recul. Le châssis pivote sur une cheville à l’avant et roule sur un chemin circulaire en bois, à l’arrière.

canon de 24 sur affût siègeCanon de place de 16 modèle 1847, sur affût de côte à châssisObusier de place de 22 cm modèle 1847, sur affût de côte à châssisMortier de 15 cm, modèle 1838, sur sa semelle-affût

Les affûts de siège de 16 et de 24 sont analogues aux affûts de campagne, mais plus largement dimensionnés au regard du poids des pièces qu’ils supportent. On les utilise lorsqu’une certaine mobilité est nécessaire, par exemple, pour des pièces contrôlant deux directions très différentes depuis le même emplacement.

Sur les courtines et les bastions, on trouve principalement des pièces de 24, de 16 et de 12 de place ou de siège.

L’artillerie du fort

Au 15 septembre, je dispose théoriquement de quatre-vingt-trois pièces, tirant principalement à barbette :

  • cinq canons de 24 centimètres rayés (de place ou de siège ?)  ;
  • douze canons en fonte rayés de 16 centimètres à chargement par la bouche, pièces de marine ;
  • huit canons lisses de 16 à balles ;
  • huit canons de 12 centimètres rayés de place ;
  • huit canons de 12 centimètres rayés de siège ;
  • quatre canons de 4 de campagne ;
  • quatre canons-obusiers lisses de 8 ;
  • huit canons-obusiers de 12 centimètres ;
  • trois canons-obusiers de 22 centimètres de siège ;
  • six canons-obusiers de 16 centimètres ;
  • quatre mortiers de 27 centimètres ;
  • quatre mortiers de 22 centimètres ;
  • neuf mortiers de 15 centimètres.
Canon de 24

Sur mes bastions et mes courtines, les cinquante-huit pièces sont réparties, de la manière suivante (pour la position des bastions, voir le dessin ci-dessous)  :

  • six pièces sur le bastion 1 : trois canons-obusiers de 12, deux canons de 16 et un canon de 12 de place ;
  • deux pièces sur la courtine entre le bastion 1 et le bastion 2 : un canon de 16 et un mortier de 22 ;
  • onze pièces sur le bastion 2 : un canon de 24, deux canons de 12 de place, quatre canons de 16, un canon de 12 de siège, deux canons-obusiers de 12 et deux canons de 12 ;
  • six pièces sur la courtine entre le bastion 2 et le bastion 3 : deux mortiers de 22, deux mortiers de 27, un canon de 12 de place et un canon de 24 ;
  • treize pièces sur le bastion 3 : quatre canons de 12 de siège, deux canons-obusiers de 16, un canon de 12 de place, un canon de 24, un canon-obusier de 22, un canon de 12, un canon-obusier de 12 et deux pièces non identifiées ;
  • six pièces sur la courtine entre le bastion 3 et le bastion 4 : deux mortiers de 27, un mortier de 22, un canon-obusier de 22, un canon de 12 de siège et un canon de 12 de place ;
  • huit pièces sur le bastion 4 : un canon de 12 place, deux canons-obusiers de 12, un canon de 16, deux canons-obusiers de 16, deux canons de 24 et un canon de 12 de siège ;
  • deux pièces sur la courtine entre le bastion 4 et le bastion 5 : un canon de 16 et un mortier de 15 ;
  • quatre pièces sur le bastion 5 : trois canons-obusiers de 12 et un canon de 12 de place.
fort de bicëtre 1870 Marine

Le positionnement majoritaire des pièces d’artillerie sur mon front sud du fort indique clairement la direction de la menace.

Mon approvisionnement en munitions de guerre est de :

  • 62 tonnes de poudre ;
  • 13.055 projectiles pleins ;
  • 34.400 projectiles creux ;
  • 949.792 cartouches de Chassepot ;
  • 36.130 gargousses.
Gloss C canon gargoussegargousse

On compte aussi 65.000 sacs de terre et 450 outils de terrassement.

Mes éclaireurs : les redoutes des Hautes-Bruyères et du Moulin Saquet 

Comme écrit plus haut, je suis dominé par le plateau de Villejuif, dont je ne vois que les versants, et sa crête limite ma vue à 1.200 mètres. L’extrémité de ce plateau est couverte par les redoutes du Moulin Saquet et des Hautes-Bruyères dont l’action s’exerce sur les vallées de la Seine et de la Bièvre.

redoute saquetNouvelle image (28)

La redoute des Hautes-Bruyères, à cent vingt mètres d’altitude, est située sur le point culminant du plateau du Longboyau (une des parties du plateau de Villejuif comprise entre les vallées de la Seine et de la Bièvre). La redoute fait partie du programme de construction réalisé en toute hâte pour doubler la ceinture de forts couvrant le front sud de la capitale, en août 1870. On en attribue la direction des travaux à Eugène Viollet-le-Duc, alors lieutenant-colonel de la Légion auxiliaire du Génie. Elle est, alors, essentiellement constituée d’ouvrages en terre et en bois pour une quinzaine de pièces d’artillerie. Au début du siège, elle n’est pas achevée, mais fermée des trois cotés.

La redoute des Hautes-Bruyères flanque les forts de Montrouge et de Vanves, tout en ayant quelques vues sur le plateau de Châtillon. Complètement remaniée dès 1874, on ne conserve de l’ouvrage initial que le tracé des fossés. Les casemates de la caserne sont voûtées en pierre, escarpes et contrescarpes sont également refaites en pierre.

Presque rectangulaire, son front de tête est légèrement brisé, elle en devient un pentagone. La gorge possède une large courtine et le reste du périmètre est défendu par deux ailerons, ainsi que par une caponnière double sur le saillant III. La rue du rempart longe douze traverses creuses. Le magasin à poudre a une contenance de vingt-huit tonnes de poudre. La redoute abrite depuis 2003, dans des constructions contemporaines, un centre d’hébergement de la Police Nationale. Notons que l’autoroute A6 l’a amputée de son saillant ouest.

724px-Braun,_Adolphe_(1811-1877)_-_Paris,_1871_-_Intereur_des_Hautes_Bruyères

La redoute des Hautes-Bruyères, au moment du cessez-le-feu, comprend :

  • trois pièces de 32 centimètres de Marine ;
  • six pièces de 24 centimètres Court ;
  • trois pièces de 16 centimètres de Marine ;
  • six pièces de 12 centimètres de siège.

La redoute du Moulin de Saquet (ou de Moulin Saquet), à cent mètres d’altitude, est construite autour de la ferme dont le moulin a été démoli en 1857. La redoute se situe entre le fort d’Ivry et la redoute des Hautes-Bruyères à Villejuif, en haut de l’actuelle rue Camélinat. Cette portion de plateau domine le secteur de Villejuif à la Seine. Pour y accéder depuis Paris, les troupes du Génie construisent une route, appelée depuis rue du Génie. La redoute du Moulin de Saquet n’est pas complètement achevée : des traverses sont encore à construire. La ferme sera vendue et les lieux seront démolis en 1965. A présent, il ne reste qu’une plaque commémorative des combats de la Commune du 3 au 4 mai 1871.

 Photographie du Moulin de Saquet en 1871. Collection BNF

La redoute du Moulin Saquet, au moment du cessez-le-feu, comprend :

  • quatre pièces de 24 centimètres Court ;
  • quatre pièces de 12 centimètres.
canon de siège et place de 120 modèle 1878 sur son affût (Tarbes ATS 1914), système de Bange

Les redoutes sont reliées entre elles : par une ligne continue d’épaulement pour l’infanterie et de murs crénelés. Cette ligne passe sur le front sud du village barricadé de Villejuif et couvre la route de ce village à la redoute des Hautes-Bruyères, en continuant vers l’ouest jusqu’à l’aqueduc d’Arcueil.

Delataille villejuif

A suivre… .

 

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