Dans cette quatrième partie, Fortification et Mémoire va continuer à s’intéresser à la dernière évolution de la casemate de Bourges, son intégration dans la Ligne Maginot. Pour ce faire, nous avons ressorti de notre bibliothèque un article de monsieur Julien Dupret paru dans la revue Fortification & Patrimoine en 2001 et intitulé : les casemates pour le canon de 75 de campagne sur la ligne Maginot.
Un remerciement à monsieur Guy François. Les documents mentionnés : « Collection Guy François » publiés dans cette partie, le sont avec l’extrême amabilité de monsieur Guy François. Ces documents sont parus dans le numéro 106 de la revue Guerre, Blindés & Matériel. Revue d’excellente qualité, traitant à 100% de l’Armée française à laquelle collabore monsieur Guy François.
La casemate pour deux canons de 75 millimètres modèle 1897-1933
Quasiment identique à celle à deux canons précédemment étudiée, les différences se situent au niveau de :
- la création d’un étage inférieur comprenant les fosses à douilles, une chambre de repos, un local pour l’installation d’un groupe électrogène, de l’aérorefroidisseur, du ventilateur et ses filtres, une chambre pour le responsable de la casemate et un emplacement pour les réservoirs ;
- l’installation d’une cloche guetteur et fusil-mitrailleur de type B (G.F.M.B) pour l’observation lointaine et la surveillance des abords ;
- l’augmentation de l’approvisionnement en munitions, soit 1 600 coups ;
- la mise en place d’un réservoir de 4 m3 pour l’alimentation en eau ;
- l’utilisation d’un poêle à mazout.
Cette casemate est destinée à pouvoir être équipée ultérieurement par des pièces de forteresse de 75 millimètres modèle 1932 avec cuirassement ad hoc, ventilation mécanique et éclairage électrique. Seules deux casemates de ce type « modernisé » sont construites au môle fortifié du fort de Maulde (ou fort de Beurnonville) dans le département du Nord, appartenant à la place de Condé-sur-l’Escaut. [ce fort pour des raisons de sécurité est interdit au public]
Le fort de Beurnonville, puis le môle fortifié du fort de Maulde.

Implantation de deux casemates pour deux pièces de 75 millimètres modèle 1897-1933 au fort de Maulde – État en 1940. Plan Julien Depret.
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Le plus de Fortification et Mémoire : une visite d’une des casemates du fort de Maulde :
La casemate légère pour canon de 75 millimètres modèle 1897

Plan de la casemate bétonnée de flanquement pour canon de 75 millimètres dans l’instruction provisoire sur l’organisation du terrain de 1933. Collection Gallica.
Il s’agit d’une casemate réduite à un abri, pour le personnel et les munitions, désignée comme une casemate d’artillerie de complément. Celle-ci ne comporte pas de locaux annexes, pas de ventilation, ni d’obturation d’embrasures. Elle est construite à la protection minimum (dalle de 0,70 millimètre).
L’installation de la pièce débute par la mise en place de bêche de crosse (seul le modèle 1933 est à flèches ouvrantes) contre la circulaire appropriée. En effet, deux circulaires en bois sont tracées au profil correspondant et fixées dans les parois de la fosse par des pattes de scellement. À partir de la circulaire basse, il est possible de tirer entre +1 degré et +12 degrés, mais cette manière de faire est à proscrire en raison du cabrage important du matériel dans une telle position. Pour obliger le matériel à pivoter en direction autour d’un point situé dans le plan de symétrie de la casemate, un segment de cercle en bois se pose sur des tiges incorporées dans le radier. Ce segment guide le roulement des roues dans le pointage en direction. Deux jeux de tiges rondes sont scellés, correspondant aux deux positions du matériel.
La ventilation est assurée naturellement par un courant d’air créé depuis la porte arrière de la casemate. Celle-ci est obturée par un rideau amovible en rails ou en rondins de bois et sacs à terre en ménageant un double accès en chicane.
Dans le secteur fortifié de la Sarre
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La casemate pour deux pièces de 75 millimètres modèle 1897 sur affûts de casemate
Ces casemates, parfois dénommées casemates d’artillerie de type Région Fortifiée de Metz modèle 1937, sont de factures soignées, réalisées uniquement dans le cadre du renforcement de la Région Fortifiée de Metz (R.F.M.). Préconisées par l’État Major des Armées, ces casemates sont une amélioration de la casemate décrite dans la notice de 1936 et de la casemate de Bourges de 1896. Elles ont pour mission de renforcer l’aile droite de la R.F.M. dépourvues d’artillerie C.O.R.F. et se déclinant sur le principe de l’artillerie de position.
Construite au niveau de protection 3 (voir la casemate réduite pour deux canons de 75 millimètres modèle 1897-1933), elle possède de manière globale la même organisation que la casemate pour deux pièces de 75 millimètres 1897-1933 décrite ci-dessus. Elle possède un observatoire sur béton, une cloche G.F.M. de type A, quatre ou cinq créneaux pour fusil mitrailleur modèle 1924/29, un groupe électrogène, deux emplacements pour canons de 75 millimètres modèle 1897 sur affûts de casemate, provenant des casemates de Bourges des forts de Séré de Rivières d’Épinal. Ce type de casemate pouvait loger une douzaine d’hommes, soit dans une chambrée dédiée au sous-sol, soit dans les chambres de tir. Les lits de cette chambrée peuvent être des lits superposées rabattable au mur avec des systèmes de contrepoids.
L’équipage de ce type de casemate se compose (en théorie) de : un officier, trois sous-officiers, deux brigadiers et dix-neuf hommes.
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Trois modèles sont construits :
- une version avec un flanquement à droite et un sous-sol réduit (casemates de Teting, de Bambesch et d’Ottonville) ;
- une version droite avec un sous-sol complet (casemate de Bovenberg) ;
- une version avec un flanquement à gauche et un sous-sol complet (casemate de Stocken).
Il s’agit du type de casemate se rapprochant le plus de la casemate C.O.R.F..
Dans le secteur fortifié du Boulay
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La casemate de Bovenberg est issue du plan générique de la casemate d’artillerie R.F.M. modèle 1937 pour 2 pièces de 75 millimètres modèle 1897 sur affûts de casemate. Il s’agit de la version avec flanquement à droite avec un sous-sol total. Auteur : Jean-Michel Jolas.
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La casemate présente la particularité d’être dotée sur son coté d’un mur de soutènement en redans dans lequel ont été installées les latrines pour l’équipage ainsi qu’un faux créneau. Auteur : Frédéric Vieu.
Dans le secteur fortifié de Faulquemont
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La casemate de Bambesch est issue du plan générique de la casemate d’artillerie R.F.M. modèle 1937 pour 2 pièces de 75 millimètres modèle 1897 sur affûts de casemate. Il s’agit de la version avec flanquement à droite avec un sous-sol réduit. Auteur : Jean-Michel Jolas.
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Outre son créneau observatoire, la casemate était renseignée par un observatoire constitué par un châssis, avec sa tourelle du char F.T. 17 version T.S.F. (Télégraphie Sans Fil), situé légèrement en contrebas de la casemate.
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La casemate de Stocken est issue du plan générique de la casemate d’artillerie R.F.M. modèle 1937 pour 2 pièces de 75 millimètres modèle 1897 sur affûts de casemate. Il s’agit de la version avec flanquement à gauche avec un sous-sol total. Auteur : Jean-Michel Jolas.

La casemate d’artillerie du Stocken. Photographie certainement prise en 1940, les embrasures disposent encore de leurs volets. Le dessus de la casemate est couvert d’un champ de barbelés. Sur le toit de la casemate, à droite, la tourelle démontable pour mitrailleuse pour la défense des abords (?). Un filet de camouflage semble pendre devant le créneau de l’observatoire. Tout à droite de la photographie, on distingue l’escalier permettant d’accéder à la casemate. Collection lalignemaginot.com – Droits réservés.
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La casemate de Teting est issue du plan générique de la casemate d’artillerie R.F.M. modèle 1937 pour 2 pièces de 75 millimètres modèle 1897 sur affûts de casemate. Il s’agit de la version avec flanquement à droite avec un sous-sol réduit. Auteur : Jean-Michel Jolas.
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Le canon de 75 millimètres modèle 1897-1933

Profil du canon de 75 millimètres modèle 1897-1933 extrait de la notice provisoire de 1936. Collection Guy François.
Avec les canons de 75 millimètres modèle 1897 sur affût de campagne ou de casemate, le canon de 75 millimètres modèle 1897-1933 est le « partenaire » des casemates de flanquement, surtout celles de la ligne Maginot.
Ses différences avec le « 75 » modèle 1897 :
- nouvel affût biflèches à roues boucliers pivotantes ; les flèches ouvrantes sont munies de bêches coulissantes ;
- bouclier fixe compété à la partie inférieure par un bouclier articulé ;
- nouvelles rainures pour la bouche à feu de 1897 ;
- nouveaux joints pour le frein de bouche ;
- frein de recul variable ;
- appareil de pointage dérivé du canon de 65 millimètres de montagne modèle 1906 ;
- hausse indépendante ;
- champ de tir vertical augmenté grâce son affût biflèches.
Le « 75 » modèle 1897-1933 pèse (en batterie) 1 500 kilogrammes, dispose d’un champ de tir horizontal de 940 millièmes et vertical de 41 degrés avec une portée (obus modèle 1917) de 11 250 mètres.
Desservi par les circonstances : absence de commande en série, nombreux défauts de fonctionnement, des utilisateurs peu convaincus, arrivée du canon de 105 Court modèle 1935 B, le « 75 » modèle 1897-1933 est reversé à la Ligne Maginot.
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« En juin 1937, le 75 modèle 1897-1933 est affecté aux missions de flanquement contre le personnel et les blindés. Il peut y faire valoir sa principale qualité, son champ de tir horizontal élargi sans déplacement de la pièce. L’attribution initiale est de six à la 1ere RM (Escaut), dix à la 2e RM (Ardennes, Montmédy,) et huit à la 7e RM (région de Bâle). Après cette première allocation, 27 autres canons modèle 1897-1933 demeurent disponibles, ils feront l’objet de livraisons ultérieures. Les casemates de flanquement qui en sont dotées soit doubles, soit simples. », écrit monsieur Guy François (GBM. n°106).

Vue de plan du canon de 75 millimètres modèle 1897-1933 extrait de la notice provisoire de 1936. Collection Guy François.
Conclusion
Les casemates de Bourges ne prirent part à aucun des combats de la Première Guerre mondiale, notamment lors de la bataille de Verdun puisqu’elles furent désarmées en application du décret du 15 août 1915, aux termes duquel les places fortes du nord-est sont déclassées et leurs ressources en artillerie mises à la disposition des Armées. Le 12 mars 1916, le général Pétain prescrit le réarmement des ouvrages. La violence des combats empêche le réarmement de certains forts. Des mitrailleuses vont alors équiper les casemates de Bourges. La seule casemate ayant tiré avec ses canons sera celle de droite du fort de Longchamp (camp retranché d’Épinal) en 1940. Les enseignements défensifs tirés de la Grande Guerre amènent le commandement français à articuler la Ligne Maginot sur une combinaison de feux de flanquement avec des ouvrages s’inspirant de la casemate de Bourges. En 1940, ces casemates ont rendu des services dans leurs missions de flanquement. Toutefois, comme le souligne Julien Depret : « Il n’est pas certain, contrairement aux équipages «C.O.R.F», qu’une section quelconque et son encadrement non instruits à ce genre d’installation, puissent tirer pleinement profit de cette organisation.»
Nous espérons que cet article vous aura intéressé tout autant qu’il fût passionnant pour nous à écrire. En tout cas, Fortification et Mémoire est heureux de vous faire partager le fruit de ses recherches.
Sources :
Bibliographique
- revues du Génie militaire – 1887, 1888, 1892 et 1896 ;
- école d’application de l’artillerie et du génie. Division technique du génie. Cours de fortification. Fortification permanente : cinq leçons sur les détails de la fortification actuelle par le capitaine Tricaud – 1909 ;
- règlement de manœuvre de l’artillerie à pied. Service des canons sous tourelle et casemate et des mitrailleuses sous tourelle – 1911 ;
- règlement de manoeuvre de l’artillerie à pied, artillerie de siège et place. Instruction sur les services de l’observation et des transmissions dans l’artillerie à pied – Ministère de la guerre -1915 ;
- le drame du fort de Vaux : journal du Commandant Raynal – Colonel Raynal – 1919 ;
- instruction provisoire sur l’organisation du terrain – 3e partie – État-Major des armées – 1933 ;
- cours de fortification : la fortification permanente jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale par le lieutenant-colonel Guillot – 1949 ;
- faites sauter la ligne Maginot ! – Roger Bruge – 1973 ;
- la muraille de France ou la ligne Maginot – Philippe Truttmann – 1992 / Philippe Truttmann et Frédéric Lisch – 2009 ;
- les casemates de flanquement dans la fortification française (1875-1940) – Alain Bohée – Fortifications et Patrimoine – 2001 ;
- les casemates pour le canon de campagne sur la ligne Maginot – Julien Depret – Fortifications et Patrimoine – 2001.
- les canons oubliés de Diégo-Suarez – Moulins Jean-Jacques – Fortifications et Patrimoine 2001
- the fortification of Verdun 1841 -1917 – Clayton Donnell – 2001 ;
- le fort de Vaux – Jean-Luc Kaluzko et Franck Meyer ;
- l’histoire de la ligne Maginot – Jean Pascal Soudagne – 2006 ;
- index de la fortification française 1874 – 1914 – marco Frijns, Luc Malchair, Jean-Jacques Moulins et Jean Puelinckx – 2008 ;
- histoire de la défense de la frontière du nord – Pierre Vanderputten
- Guerre, Blindés & Matériels n°106 – « Améliorer le canon de 75 ? » – Guy François – octobre 2013
Internet
- wikipédia.fr
- canonde75.free.fr
- fortiffsere.fr
- gallica.fr
- fort-uxegney.pagesperso-orange.fr
- memoire-et-fortifications.fr
- latribune.cyber-diego.com
- wikimaginot.eu
- lignemaginot.com
- la-ligne-maginot.com
- maginotmoselle.free
- alsacemaginot.com