Il était une fois Poncelet ou l’âge d’or des ponts-levis (1/2)

Il existe trois sortes de ponts-levis : les ponts-levis à flèches, à bascule et à mécanisme. À partir de 1750, les ponts-levis à mécanisme supplantent les deux autres. Parmi les nombreux modèles à mécanisme existants, le système de pont-levis mis au point par le général Poncelet s’impose dans la majorité des forts du XIXe siècle.

Fortification et Mémoire vous propose, dans une première partie, de nous intéresser à la vie de Jean-Victor Poncelet et d’examiner le cahier des charges d’un pont-levis. Dans une deuxième partie, nous verrons le fonctionnement d’un pont-levis du système dit « à la Poncelet », avant de regarder les systèmes concurrents.

Son concepteur

Jean-Victor Poncelet est né à Metz, le 1er juillet 1788. Son père, Claude Poncelet est avocat au parlement de Metz. Enfant, il est confié à une «digne et excellente» [tous les passages entre guillemets sont extraits de la Notice sur la vie et les ouvrages du général J.-V. Poncelet du général Didion] famille de Saint-Avold. Il semble pourvu d’une intelligence précoce : «Tout jeune encore, son esprit supérieur l’avait fait distinguer de ses camarades; ils proclamaient sa supériorité en toutes choses et le reconnaissaient volontiers pour chef». Sa famille d’adoption consciente de sa vive intelligence et de son avidité pour l’instruction, le confie à sa mère, afin qu’elle puisse l’inscrire dans un établissement lui permettant de rattraper son retard scolaire. «Le jeune élève [14 ans], frappé des vides que présentait son instruction si inégale, voulut les combler. Il serait difficile de dire les efforts inouïs qu’il lui fallut faire». Six mois d’efforts intensifs (il parvient même à dresser un chien à venir l’éveiller avant le jour) lui permettent d’entrer au Lycée impérial de Metz en 1804 pour préparer en trois ans l’entrée à l’École Polytechnique, là où sept à huit années sont nécessaires. D’ailleurs, il a fait de son admission à Polytechnique son unique but. En 1807, il intègre l’École, huitième du concours de la Xème promotion. Est-ce sa santé fragile ou bien une conséquence de ses efforts, qui oblige Poncelet à interrompre ses études pendant six mois ? Il part se ressourcer à Saint-Avold. De retour à Polytechnique, il se fait remarquer par la clarté de ses démonstrations, par l’originalité de ses méthodes et par l’indépendance de ses idées scientifiques. Il écrit à vingt et un ans son premier manuscrit : « Problèmes relatifs au cercle tangent à trois autres sur un plan et à la sphère tangente à quatre sphères dans l’espace ».

En 1810, Jean-Victor Poncelet sort de Polytechnique avec le trente-huitième rang. Il entre à l’École d’Application de l’Artillerie et du Génie de Metz comme élève sous-lieutenant du Génie. 1812 voit se profiler la Guerre de la Sixième Coalition, engendrant des besoins pressants d’officiers toutes armes. En conséquence, l’enseignement doit y être «très prompt» et sa promotion quitte l’École d’Application le 11 février 1812. Le lieutenant du Génie Poncelet est envoyé directement sur l’île de Valcheren, située à l’embouchure de l’Escaut. Cette île servait de protection à l’arsenal maritime du port d’Anvers. Il y est employé à la construction des casemates en maçonnerie des batteries du fort de Rammekens. Ces travaux durent être exécutés en présence de la flotte anglaise et dans des conditions difficiles (pénurie de matériaux de construction et terrain tourbeux). «Poncelet y sut mériter des éloges».

Le 17 juin, il part rejoindre les 400.000 soldats composant la Grande Armée en Russie. Le 17 août, devant Smolensk, le général du Génie Haxo reçoit l’ordre du Maréchal Ney de reconnaître l’enceinte de la place, alors sous le feu de plusieurs centaines de pièces de canon dont les boulets s’enfoncent dans le mur de briques de l’enceinte sans faire de dégâts décisifs. Le lieutenant Poncelet est chargé d’une partie de cette reconnaissance et «pour cela pénètre dans le fossé sous un feu épouvantable, sachant, sans hésiter, risquer sa vie pour remplir un devoir…». Finalement, les Russes se retirent en brûlant la ville. Resté à Smolensk en garnison, il est chargé de l’établissement des blockhaus et des réduits sur la route de Smolensk à Moscou. Le 19 octobre, les Russes incendient Moscou. Napoléon entame sa retraite et entre avec la Garde Impériale à Smolensk le 9 novembre. Il en repart le 14 novembre en laissant en arrière-garde le Maréchal Ney et ses 7.000 hommes. Le 18 novembre à Krasnoë, au bord d’un ravin où coule la Loosmina, une petite rivière se jetant dans le Dniepr, les Français se heurtent au barrage d’artillerie soigneusement installé par le Maréchal Miloradovitch. Malgré une canonnade meurtrière, le Maréchal Ney, à la faveur du brouillard, de la neige et du crépuscule, parvient à faire retraite et à gagner le Dniepr qu’il traverse sur des glaces encore mal consolidées. Le 20 novembre, Ney rejoint l’armée à Orcha accompagné de 1.200 rescapés «mourant de fatigue». Au sein d’un bataillon de sapeurs-mineurs, le lieutenant Poncelet mène des combats retardateurs désespérés (il eut un cheval tué sous lui). Il est fait prisonnier le 18 ou le 19 novembre 1812.

Le détachement de prisonniers dont fait partie Poncelet est dirigé vers Saratov sur les rives de la Volga, à plus de trois cents lieues [1.200 kilomètres] de distance, aux limites de l’Europe. Sans cheval, sans manteau, couvert seulement de l’uniforme français, Poncelet effectue le trajet par un froid qui avait déjà atteint vingt-six degrés centigrades au-dessous de zéro et qui plus tard augmente «jusqu’au point de congélation du mercure» (-38,9° C); ce trajet dure quatre mois. «On comprend les souffrances qu’il dut éprouver en traversant les neiges de Russie durant les mois de novembre, décembre, janvier et février au milieu de populations naturellement dures pour elles-mêmes. Que n’étaient-elles pas envers de malheureux soldats et officiers d’une nation ennemie, qui avaient envahi leur pays, et qu’elles croyaient les auteurs de l’incendie de leur capitale ?». Le traitement réservé aux prisonniers fut semble-t-il assez dur, Poncelet tombe malade et ne se rétablit qu’au printemps. «Dans cette triste capacité, la nature d’élite de Poncelet se révéla.[..]. Pour travailler, pour étudier, il eût fallu des livres; le papier, les plumes et l’encre étaient tout au moins nécessaires». Économisant sur le pécule attribué à chaque prisonnier, Poncelet achète du papier bleu, épais et grossier et, pour plus d’économie il fabrique lui-même son encre. Réduit à ses souvenirs d’école, il refait les bases de ses connaissances en Mathématiques, en Algèbre, en Trigonométrie et en Géométrie. Durant quinze mois, il consigne méthodiquement les résultats de ses réflexions dans sept cahiers manuscrits, appelés « cahiers de Saratov », qu’il rapporte en France après sa remise en liberté (la bibliothèque de l’École Polytechnique conserve le premier de ces précieux cahiers). Ses premiers travaux provoquent l’admiration et le font connaître dans la ville de Saratov, à tel point que plusieurs seigneurs russes lui offrent de devenir l’instituteur de leur fils. Ne voulant pas de compromis avec ses sentiments patriotiques, il refuse et s’absorbe entièrement dans ses études. C’est également durant cette période que Poncelet établit des idées nouvelles dans le domaine de la Géométrie pure, et «parvient à en généraliser le langage et les conceptions par des théories originales et fécondes». Lors de la ratification de la paix générale en juin 1814, Poncelet rentre en France après un périple de quatre mois à travers l’Europe.

La paix générale de 1814, entraîne une diminution des effectifs et Poncelet est affecté à la place de Metz comme capitaine de seconde classe, le 21 septembre. Le 24 février 1815, il est détaché à l’Arsenal du Génie de Metz, qui est le seul arsenal de construction pour le Génie en France. Poncelet s’attache à le remettre en service : «Il consacra ses premiers soins à l’installation de martinets, de souffleries, de forges, de fours, de meules d’aiguiserie, de tours, de cisailles et de scieries mécaniques ayant pour moteur une roue hydraulique».

En 1820, Poncelet rédige son célèbre mémoire : « Les propriétés projectives des sections coniques ou lignes de second ordre » et surtout son œuvre principale « Traité des propriétés projectives des figures » qui allait lancer pendant tout le XIXe siècle les mathématiques sur la voie de la géométrie pure. Poncelet s’intéresse également aux applications scientifiques se rattachant à l’arme du Génie. C’est ainsi, que le pont-levis retient son attention : «La condition à laquelle doivent satisfaire les ponts-levis employés dans la fortification est que ces ponts soient tenus en équilibre par un contre-poids dont l’effet doit varier comme celui de la pesanteur sur son relèvement». Cette solution, présentée au Comité des Fortifications en 1820 fut adoptée; Metz voit le premier pont-levis dit « à la Poncelet ».

En 1825, Poncelet est chargé des cours de mécanique à l’École d’Artillerie et du Génie de Metz, son cours de mécanique appliquée fait sensation dans le monde de la science et de l’industrie. Il invente la roue hydraulique à aubes courbes, système qu’il refuse de breveter. Il est nommé capitaine de première classe le 4 janvier 1828. En 1837, il est nommé professeur de mécanique physique et expérimentale à la Faculté des Sciences de Paris, où il enseigne jusqu’en 1848. Il est nommé lieutenant-colonel le 13 mars 1841 et colonel le 12 mai 1844. En 1848, il est promu général et prend le commandement de l’École Polytechnique. Le 15 mai 1848, il prend la tête des élèves de Polytechnique en arme et en uniforme pour se mettre à la disposition du gouvernement (150.000 manifestants envahirent le palais Bourbon, siège de l’Assemblée, provoquant la dissolution de celle-ci et la création d’un gouvernement insurrectionnel, prélude aux émeutes de juin 1848). En 1850, il est démis de son poste de commandant de l’École Polytechnique par Napoléon III. Le 9 juillet 1853, il est fait Grand-Officier de la Légion d’Honneur.

Notons une œuvre particulière dans les écrits de Poncelet : » De l’introduction du boulier en France dans les salles d’asile pour l’instruction des plus jeunes enfants ». Cette initiative surprend car elle concerne un objet modeste, et pourtant elle vient d’un scientifique renommé. Mais elle apporte un témoignage, parmi tant d’autres, de la volonté que Poncelet a manifesté avec constance durant toute sa vie, de diffuser le savoir de façon telle qu’il s’étende au plus grand nombre.

«Atteint d’un mal sans remède; ses jours étaient comptés, et il s’éteignit le 23 décembre 1867, à la première heure de la nuit». Le général Poncelet est enterré au cimetière du Montparnasse.

Poncelet est inscrit parmi les soixante-douze noms gravés sur les quatre faces de la Tour Eiffel. Il figure sur la face du Trocadéro entre Henri Tresca (auteur du critère de Tresca sur la résistance des matériaux) et Jacques Antoine Charles Bresse (travaux sur la flexion des poutres). Une unité de mesure de puissance (aujourd’hui inusitée) portait son nom à la fin du XIXe siècle : le Poncelet, destiné à remplacer le désuet cheval-vapeur. L’équivalence est : 1 P = 980,665 W. Plus surprenant, il existe une pièce de théâtre en deux actes, écrite en septembre 2002 : le jeune homme et la mort (Les dernières heures du Général Poncelet) par Marie La Palmes Reyes.

Le cahier des charges d’un pont-levis

Un pont-levis est un pont mobile défensif qui se baisse ou se lève pour permettre ou interdire à volonté le passage au-dessus d’une coupure naturelle ou artificielle. Dans tous les ponts-levis, on distingue deux parties essentielles et distinctes : l’une est le tablier ou plancher, mobile autour d’un axe horizontal, qui est destiné à servir de pont, lorsqu’il est abattu sur ses appuis horizontaux (les culées) et à fermer ou à masquer le passage lorsqu’il est relevé contre les montants verticaux de ce passage (les pieds-droits). L’autre, se compose de toutes les pièces servant à relever, à abaisser le tablier ou à le maintenir en équilibre (pièces de manœuvre).

Un pont-levis doit :

  • être construit en matériaux solides et durables afin de présenter des degrés de sureté et de solidité importants,
  • présenter la plus grande mobilité possible de sorte qu’un petit nombre d’hommes suffise à sa manœuvre,
  • disposer d’un mécanisme permettant de baisser ou de lever le tablier, dans un temps très court,
  • avoir un passage dégagé, non encombré par ses pièces de manœuvre,
  • avoir la plus grande étendue possible laissée vide lors du retrait du tablier,
  • avoir le maximum de pièces de manœuvre couvertes par le tablier lorsque celui-ci est relevé,
  • avoir ses pièces de manœuvre et en particulier les contrepoids protégés des intempéries,
  • faire en sorte que dans son fonctionnement, il ne nuise pas à la stabilité des maçonneries le supportant.

 

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