Dans cette seconde partie, le fort de Bicêtre va poursuivre le récit des événements du siège de Paris, tels qu’il les a vécu. Fortification et Mémoire y ajoutant des encarts historiques complémentaires.
Le siège commence
Septembre 1870
Le jeudi 15, à 17 heures, je reçois un télégramme du général Trochu, le président du gouvernement de la Défense nationale : « L’ennemi est en vue…Ayez donc confiance entière et sachez que l’enceinte de Paris, défendue par l’effort persévérant de l’esprit public et par trois cent mille fusils, est inabordable.… Préparez vous à souffrir avec constance. À cette condition vous vaincrez. ». Le maréchal Edmond Le Bœuf, ministre de la guerre assure : « « Nous sommes prêts et archiprêts. La guerre dût-elle durer deux ans, il ne manquerait pas un bouton de guêtre à nos soldats.» .
Les forces ennemies arrivent sous les murs du camp retranché de Paris par trois côtés à la fois. Le blocus est établi par trois cordons de troupes, qui s’épaississent par une rapide concentration en cas de bataille, grâce à des communications bien établies et à la pose du télégraphe militaire.
Au début du siège, les Allemands comptent 150 000 hommes, puis 400 000 hommes au fur et à mesure de la disponibilité des troupes utilisées pour le siège des villes de Toul (capitulation le 23 septembre), de Strasbourg (capitulation le 28 septembre) et de Metz (capitulation le 19 octobre). De cette façon, avec 160 000 à 180 000 soldats au maximum rapidement mobilisables, le général Moltke est certain que le commandement français, resté dans la capitale, n’osera pas risquer des attaques persistantes dans la crainte d’une reddition en rase campagne. Les Prussiens peuvent donc encercler une ville de deux millions d’habitants avec 400 000 soldats, dont 160 000 peuvent agir au même endroit.
Le lundi 19, je tire mes premiers coups de canon. Mon objectif se situe à Bourg-la-Reine qui paraît occupée par les batteries du 2e corps Bavarois. Les historiens considèrent que c’est à partir de cette date que Paris entre dans la période de l’investissement complet et, qu’il s’agit du premier jour de siège. Tous les villages et les villas des environs de la capitale sont mis en état de défense. Le gouvernement indique qu’il « ne livrera ni un pouce de notre territoire, ni une pierre de nos forteresses ». La commission des barricades est formée.
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Le mardi 20, le contre-amiral Pothuau ordonne aux troupes occupant les redoutes des Hautes-Bruyères, de Moulin Saquet et du village barricadé de Villejuif de « se retirer à l’intérieur de Paris ». J’expédie deux obus sur la redoute des Hautes-Bruyères pour faire fuir une troupe de cavaliers prussiens et sur une maison de Bourg-la-Reine occupée par l’ennemi. Après le retrait des troupes, je deviens une sentinelle avancée de la place forte parisienne.
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Le mercredi 21, plusieurs compagnies sortent du fort et descendent dans la vallée de la Bièvre, remontent du côté des Bruyères et s’établissent dans les positions qu’elles occupaient la veille, après avoir échangé quelques coups de feu.
Première tentative de départ d’un ballon monté depuis l’usine à gaz de Vaugirard. L’enveloppe du ballon l’Union se déchire au moment du gonflement, l’ascension échoue. Soixante-sept ballons-courriers vont partir de Paris.
Le jeudi 22, l’ennemi occupe Villejuif. Depuis mes courtines, les fusiliers, équipés de leur Chassepot, échangent « une vive fusillade » avec les tirailleurs ennemis masqués par les plis du terrain à sept cents mètres du glacis. Le contre-amiral envoie une section d’infanterie de marine qui « s’abritant des arbres et des maisons » débusque l‘ennemi. Le feu cesse après avoir expédié quelques obus. Dans la soirée, la division Maudhuy se porte en avant de mes bastions, de ceux du fort d’Ivry et occupe le Moulin de Saquet [ voir la première partie de cet article ] et le village de Vitry.
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Le vendredi 23, une dizaine d’obus en provenance de Villejuif tombent sur mes glacis de droite. Le 9e de Marche et deux sections d’artilleurs campant depuis la veille sur mes arrières, occupent la redoute des Hautes-Bruyères. Pour compléter ses défenses inachevées, j’envoie des gabions, des sacs à terre et des tonneaux.
Départ de la place Saint-Pierre, à Montmartre, du premier ballon-poste, Le Neptune piloté par Claude-Jules Dufour. Ce ballon emporte cent vingt-cinq kilogrammes de courrier. Il atterrit dans le parc du château de Cracouville, près d’Évreux, dans l’Eure, après avoir parcouru cent quatre kilomètres.
Le samedi 24, mes canons appuient quatre compagnies de fusiliers-marins du fort de Montrouge effectuant une reconnaissance dans une carrière à trois kilomètres en avant de mon bastion n°3. Un petit détachement de marins quitte mon bord pour aller renforcer la défense des Hautes-Bruyères et contribuer à rectifier mes tirs par des signaux de convention.
Dans la capitale, ne parvenant plus à nourrir ses animaux, la ménagerie du Jardin des plantes s’en sépare. À la première vente, on y trouve : des yacks, des zèbres, un buffle, des rennes, des canards, des antilopes et des cygnes. La Boucherie anglaise du boulevard Haussmann, écoule la viande des animaux du Jardin, sous la dénomination de viande de fantaisie. Seuls seront préservés les lions, les tigres et les singes, à cause de leur ressemblance avec les humains.
Le dimanche 25, un télégraphe est mis en fonctionnement avec la redoute des Hautes-Bruyères. Ma conduite d’eau est coupée, je vais puiser dans mes citernes placées sous mes deux casernes. Je dois également approvisionner en eau les Hautes-Bruyères en lui envoyant régulièrement des tonneaux.
Le lundi 26, je reçois la visite du ministre de la guerre, Adolphe Le Flô, qui envoie dans l’après-midi son aide de camp, monsieur Adhémar, porter au premier avant-poste prussien une lettre de Jules Favre à Bismarck.
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Le mercredi 28, mes sapeurs travaillent à l’établissement des plateformes d’artillerie qui recevront les pièces d’artillerie devant tirer sur Châtillon.
Le jeudi 29, j’accueille une rencontre tripartite entre le ministre de la guerre, le gouverneur de Paris et le vice-amiral commandant en chef pour préparer l’attaque du treizième Corps sur les villages de : Chevilly, l’Hay et Choisy où l’ennemi est fortement retranché.
Le vendredi 30, un ordre général du gouverneur enjoint à tous les forts de s’approvisionner d’un supplément de vivres « de toute nature » pour dix jours, afin de les distribuer aux troupes stationnées à proximité de ceux-ci ou de passage. Dorénavant, la viande fraîche n’est plus au menu des soldats que le dimanche et le mercredi de chaque semaine.
L’attaque prévue la veille est déclenchée. Des Hautes-Bruyères, on suit le mouvement des 20 000 hommes du 13e Corps du général Joseph Vinoy, que l’on transmet à Bicêtre par le télégraphe. Je reçois l’ordre d’appuyer les troupes dans Chevilly : de 9h15 à 10h, mes canons « foudroient » le parc du séminaire à Chevilly (Chevilly-Larue depuis le 5 septembre 1920). Après un vif engagement d’artillerie et de mousqueterie, sur ordre du général Vinoy, les troupes françaises se replient sous le feu, à 10h30, avant l’arrivée des réserves prussiennes, évaluées à environ 30 000 hommes. Les troupes françaises se retirent sur leurs positions initiales. Durant ce combat, le général Pierre Victor Guilhem est tué. Son corps sera remis à l’armée française par les Prussiens et fera l’objet d’obsèques conduites par le général Trochu.
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Octobre 1870
Le samedi 1er, on me livre un approvisionnement de bœufs et de moutons. Les bêtes sont parquées dans mes fossés. Cette ressource est soigneusement ménagée, de telle sorte que c’est dans les forts que l’on trouvera de la viande fraîche le plus longtemps.
Le lundi 3, une instruction envoyée, m’ordonne, à partir du 11, de faire mon pain, comme celui des troupes environnantes. La boulangerie est installée dans une des casemates, sous la courtine entre les bastions n°3 et n°4.
Le vendredi 7, dans la nuit, mes artilleurs disposent une pièce de 16 centimètres sur une nouvelle plateforme de mon bastion n°4, pour augmenter le nombre de pièces pouvant tirer sur Bagneux.
Depuis mon bastion n°1, je vois s’élever de la Place Saint-Pierre, au pied de la butte de Montmartre, à bord du ballon l’Armand Barbès, Léon Gambetta, le ministre de l’Intérieur et son secrétaire Eugène Spuller, quittant Paris assiégé, pour rejoindre Tours et y organiser une armée de 6 000 hommes, celle-ci prendra le nom d’Armée de la Loire. Ils atterrissent à Montdidier (Somme) après un vol, que l’on raconte épique, de quatre vingt dix-huit kilomètres. A leur entrée dans Tours, le 9, un pigeon voyageur apprend au gouvernement l’arrivée de Gambetta dans la capitale Tourangelle.
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Le lundi 10, dans Paris, la viande est désormais rationnée. La ration est d’une livre trente-cinq de viande par personne pour cinq jours (soit environ six cent soixante-cinq grammes). Le jeudi 13, mes canons tonnent en direction de l’entrée de Bourg-la-Reine sur des tirailleurs ennemis. Plus tard, un de mes obus détruit une pièce d’artillerie de campagne en positon à Sceaux, précision des canonniers disent les uns, coup heureux disent les autres.
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Le vendredi 14, a lieu au fort d’Ivry, sans doute le premier essai d’un lance-flammes en Europe. L’ingénieur des Ponts et Chaussées Krantz vient y faire des expériences de lancement de pétrole. Les résultats sont « satisfaisants ». On se sert de pompes à incendie ordinaires. Le jet des pompes va au-delà des quatre-vingts mètres, et produit une flamme si intense qu’il est impossible d’avancer. « Il s’agit d’un bon moyen de repousser une attaque ».
Le dimanche 16, le ballon Jean-Bart n°2 piloté par le quartier-maître Labadie, part de la gare d’Orléans, à 21h50, et atterri à Evrechelles près de Dinant en Belgique, le 17 vers 3h.
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Sur proposition du vice-amiral La Roncière–Le Noury, on recrute pour l’école aéronautique les marins des forts ; « habitués à tous les périls de la navigation, ils ne font que changer d’élément et de milieu ». L’effectif de cette école se compose de trente marins, renouvelés au fur et à mesure des départs et, choisis parmi « les plus intelligents et les plus courageux ». En suivant les détails de la fabrication de l’aérostat, en opérant le gonflement et en assistant à tous les préparatifs accessoires de la construction et du départ, ils se trouvent bien vite en état de diriger l’embarcation. Outre les trente marins, pilotes désignés pour des ascensions futures, le personnel des ateliers de la gare d’Orléans se compose encore de vingt douaniers chargés du séchage, du vernissage et du gonflement des aérostats et de cent vingt ouvrières, occupées sans cesse à la couture des ballons.
Ainsi, sept de mes matelots vont servir d’aérostiers dans quelques uns des vingt-neuf ballons pilotés par des marins parmi les soixante-sept ballons-poste ou ballons-montés lancés pendant le siège de Paris.Le dernier, Le général Cambronne, s’envole de la gare de l’Est, le 28 janvier 1871. Il est piloté par le marin Tristan Auguste et, porte à la France, la nouvelle de l’armistice.
Pour en savoir plus : «les ballons pendant le siège de Paris».
Le mardi 18, les trois pièces de 16 centimètres de marine de la redoute des Hautes-Bruyères sont prêtes à faire feu. Mon commandant envoie un contingent de deux officiers et de trente-six marins pour le service des pièces de marine. Ce détachement est relevé chaque jour.
Le mercredi 19, j’effectue quelques tirs en direction de la plaine de Choisy sur une batterie de campagne prussienne. J’établis de nouvelles plateformes de tir pour des pièces de 24 sur la courtine entre les bastions n° 2 et 3, afin d’obtenir un tir plus puissant en direction de Choisy.
Le ballon, Le Lafayette (également baptisé République Universelle) est piloté par un de mes matelots, le matelot Louis Jossec avec à son bord Antonin Dubost, secrétaire général de la Préfecture de Police de Paris et son secrétaire Gaston Prunières. Il part de la gare d’Orléans à 9h10, et atterrit à Lonny près de Mézières dans les Ardennes, à 11h 20.
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Le dimanche 23, mon équipage est vacciné contre la variole, dont les premiers cas viennent d’apparaître en ville.
Le mardi 25, une équipe du Génie, depuis mes courtines, relève les positions des ouvrages ennemis de Châtillon.
Le ballon, le Montgolfier piloté par un de mes marins, le matelot gabier (matelot breveté dans la spécialité de la manœuvre, chargé du soin de la mâture, du gréement, des embarcations et des ancres) Sané Hervé s’envole de la gare d’Orléans, à 8 h30, avec à son bord le colonel de La Pierre et le commandant Joseph-Marie Le Bouédec, envoyés par l’État Major parisien pour prendre un commandement en province. Il termine sa course à Heiligenberg dans le Bas-Rhin, sous occupation ennemie, à 11h40, après avoir parcouru cinq cent trois kilomètres. Les Prussiens retrouvent le ballon, mais les trois passagers ont disparu, sauvés par des habitants patriotes qui les font passer à travers la montagne d’où ils regagnent la Lorraine.
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Le mercredi 26, à Paris, les autorités mettent en place le deuxième rationnement de la viande : cinquante grammes par personne et par jour.
Le jeudi 27, le ballon, le Vauban piloté par un de mes marins, le matelot Guillaume, s’envole de la gare d’Orléans, à 9 heures, avec à son bord le diplomate Frédéric Rethinger et le colombophile Edouard Cassiers. Il termine sa course à Vigneulles-lès-Hattonchâtel, près de Commercy, à 13 heures. L’équipage réussit à gagner la Belgique en emportant les dépêches.
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Le lundi 31, les boucheries municipales n’ayant plus de viande, ne distribuent plus que du suif. L’envoi d’Adolphe Thiers à Versailles pour négocier avec Bismarck alimente la rumeur selon laquelle le gouvernement français demanderait l’Armistice. L’exaspération des Parisiens est telle qu’une manifestation populaire, orchestrée par Charles Delescluze a lieu contre Trochu et son gouvernement. Les manifestants occupent pacifiquement l’Hôtel de Ville, siège du gouvernement et des discussions s’engagent. Trochu réussit à se maintenir et proclame : « Le gouverneur de Paris ne capitulera pas. ». En fin de journée, la manifestation tourne à l’émeute et les membres du gouvernement se retrouvent prisonniers des partisans de la Commune, mais ils sont délivrés par le 106e bataillon de la garde nationale.
Novembre 1870
Le mercredi 2, l’ennemi ravage le village de Fontenay. Je tire trois obus en direction du village.
Le ballon, le Fulton piloté par un de mes marins, le matelot Le Gloarnec, accompagné d’un ingénieur des ponts et Chaussées Ernest Cézanne s’envole de la gare d’Orléans, à 8h45. L’ingénieur est chargé par le gouvernement de la Défense nationale d’une mission auprès de la Délégation de Tours, relative au ravitaillement de Paris. Celui-ci doit assurer l’achat de 26 000 tonnes de vivres, représentant la consommation de Paris pour quinze jours. Cette nourriture, payée quarante-deux millions n’est jamais parvenu à destination. Le ballon termine sa course à Cossé-d’Anjou près d’Angers dans la Loire Inférieure (Maine-et-Loire), à 14h30. Le marin le Gloarnec, huit jours après son arrivée à Tours, décède d’une fluxion de poitrine. Ses funérailles sont imposantes. Les aéronautes présents à Tours et les délégués des membres du gouvernement suivent jusqu’au cimetière, le corps du marin.
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Le vendredi 4, des officiers d’État-major se présentent à ma porte pour sélectionner des matelots d’élite. Ces matelots, sous la direction du capitaine de Ladrange, sont mis à la disposition de l’administration des télégraphes pour tenter de relever dans la Seine, près de Nanterre, le fil télégraphique immergé permettant la communication avec Rouen.
En prévision du siège, le 26 août 1870, le maréchal Jean Baptiste Philibert Vaillant, agissant au nom du Comité de défense des fortifications, donne l’ordre « à l’intelligent directeur des lignes télégraphiques », monsieur Steenackers, de mouiller secrètement, dans les eaux de la Seine, deux câbles : l’un en aval de Paris pour atteindre Rouen, l’autre en amont en direction de Joigny. Ces câbles sont importés en toute hâte d’Angleterre. Seul le câble en direction de l’ouest parvient à être posé et, la liaison est opérationnelle, le 23 septembre 1870. Le câble est rompu une première fois, le 23 septembre par l’éboulement du pont de Mantes (destruction de l’ouvrage), puis rétabli aussitôt. Le câble, est définitivement sectionné dans la nuit du 26 au 27 septembre, faute d’avoir été profondément immergé. Les recherches entreprises pour situer le point de rupture ne donnent aucun résultat. Les assiégés doivent renoncer à ce moyen de transmission.
Le jeudi 10, un boucher parisien du boulevard Rochechouart se met à vendre des chiens, des chats, des rats et des brochettes de « piafs ». Rapidement s’ouvre, place de l’Hôtel-de-Ville, un marché aux rats. Les rats sont présentés dans de grandes cages, le client en choisit un, qui est étranglé par un dogue, puis emporte son rat mort et emballé !
Le samedi 12 et le dimanche 13, je tire sporadiquement quelques obus sur Châtillon.
Le ballon, Le Daguerre piloté par un de mes marins, le matelot Sylvain Jubert, part de la gare d’Orléans, à 9h15 et atterrit à 14h à Jossigny (Seine-et-Marne) où il est capturé par les Prussiens. Ce ballon embarque le colombophile Ernest Nobécourt, l’ingénieur Louis Pierron et son chien. Le ballon emporte du matériel destiné à la fabrication des pellicules, cinq cages de six pigeons et cinq sacs de courrier. Après avoir essuyé quelques tirs Prussiens, le ballon, dont l’enveloppe est percée à plusieurs endroits est contraint d’atterrir en catastrophe. Il se pose près d’une ferme de Ferrières dans les environs de Lagny en Seine-et-Marne. Nobécourt a juste le temps de jeter un sac de courrier et une cage de pigeons. Le sac et les six pigeons seront récupérés par le garde-chasse de Ferrière et amenés à la Poste. Parmi ces lettres, certaines contiennent les premières dépêches-réponse. Une partie du courrier restée à bord est confisquée par les Prussiens et restituée après l’armistice. Quant à Nobécourt, capturé par les Prussiens, il est envoyé en captivité et séjourne cinq mois à Glatz en Silésie (jusqu’au 14 mars 1871).
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Le mardi 15, j’expédie quelques obus sur Fontenay mettant plusieurs hommes en fuite. Mes marins apprennent avec joie, la nouvelle de la prise d’Orléans par l’ Armée de la Loire.
Le samedi 19, le Génie installe sur le toit du pavillon des officiers, un observatoire muni d’un puissant télescope sous la direction du capitaine Aimé Laussedat.
Le jeudi 24, profitant d’une accalmie, le 2e bataillon de marins-fusiliers fait de l’exercice sur mes glacis.
Le samedi 26 et le dimanche 27, à 11h, suivant les ordres reçus, j’ouvre le feu, ainsi que tous les forts du sud, pendant une demi-heure sur divers points occupés par l’ennemi.
Le lundi 28 et le mardi 29, je me prépare à soutenir une grande offensive dirigée par le contre-amiral Pothuau (la prise de la Gare-aux-Bœufs, près de Choisy-le-Roy). Pour cette opération, le contre-amiral a transféré son quartier général au fort d’Ivry.
Cette sortie engage :
- la 2e brigade du capitaine de vaisseau Salmon (5 000 hommes) composée de bataillons de marche d’infanterie de marine; cette brigade appartient à la 7e division sous les ordres du contre-amiral Pothuau (3e armée de Paris) ;
- quatre bataillons de mobiles (Indre, Marne, Puy-de-Dôme et Somme) ;
- quatre bataillons de gardes nationaux ;
- deux bataillons de fusiliers marins du fort d’Ivry ;
- un bataillon d’infanterie de marine du fort d’Ivry ;
- deux wagons blindés placés sur la ligne d’Orléans, près de la Pépinière ;
- des canonnières remontant la Seine à hauteur des troupes engagées.
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A une heure, nous tirons (les forts du Sud) de toutes nos pièces : soixante-cinq coups chacun et la même chose à quatre heures pour préparer l’offensive. Au point du jour, sous les ordres du général Joseph Vinoy, deux attaques sont lancées, appuyées par une artillerie conséquente. La première, sur la Gare-aux-Bœufs, confiée au contre-amiral Pothuau, vigoureusement menée, a parfaitement réussi. La position a été enlevée, avant le jour, par des compagnies des 106e et 116e bataillons de la garde nationale et des fusiliers marins. L’ennemi surpris s’est retiré en désordre, laissant quelques prisonniers, dont un officier. Après l’occupation de la Gare aux Bœufs, l’amiral retire ses troupes.
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Le mercredi 30, les éléphants Castor et Pollux du Jardin des plantes sont abattus et vendus 13 500 francs chaque à la Boucherie anglaise du boulevard Haussmann, qui écoule la viande des animaux du Jardin, sous la dénomination de viande de fantaisie.
Le jeudi 8, il a beaucoup neigé, les troupes déblaient la neige qui couvre mes bastions et mes courtines.
Le vendredi 9, on publie un décret interdisant la vente de la farine et l’interdiction de la fabrication du biscuit. Toute la farine doit être employée à faire du pain.
Le vendredi 16, dans la capitale les vivres diminuent, la viande, qui est déjà rationnée manque totalement, ainsi que le bois et le charbon. Le gouverneur de Paris ordonne que l’on procède à la réquisition des chevaux pour les abattre, et les manger. Les files d’attente s’allongent pour un morceau de pain. On mange du chat, du chien et on chasse le rat.
Le samedi 25, le froid s’installe, le thermomètre descend jusqu’à -14° centigrades. La Seine est gelée. À dater de ce moment, la santé des soldats des premières lignes est sérieusement atteinte. Les cas de congélation, contre lesquels l’activité des travaux entrepris ne peut rien, se multiplient dans une proportion inquiétante. Les travaux eux-mêmes sont ralentis par suite de la dureté du sol. Puis, ils deviennent impossibles.
Le mardi 27, centième jour de siège. Ce jour marque le début du bombardement de Paris dans certains quartiers.
Janvier 1871
Le mercredi 4, suite aux effets de pénétration causés par les projectiles prussiens dans les murailles du fort de Rosny, je travaille activement à me renforcer avec des sacs à terre. Des cornets à bouquin sont distribués (dans tous les forts) : « ce mode d’avertissement rend les meilleurs services ».
Le jeudi 5, à 8 heures, le bombardement du front sud commence. Les premiers obus tombent les forts de Vanves, Issy, Montrouge et dans la capitale (sur la rive gauche). Les forts « de la marine » reçoivent l’ordre de livrer à l’intendance, l’excédant de farine au-delà de quarante-cinq jours pour 2 500 hommes par fort, à raison de deux repas par jour. Ce surplus de farine est destiné à être livré à la consommation générale de la ville de Paris.
Le dimanche 8, je soutiens le fort de Montrouge pendant la journée, en dirigeant mon feu sur les batteries de Fontenay. N’ayant pas réussi à les localiser précisément, je tire au jugé. La batterie ennemie de Chevilly me prend alors pour objectif en tirant par-dessus les Hautes-Bruyères. Le tir est trop court, les obus labourent mes glacis, aucun dommage.
Du lundi 9 au lundi 23, je continue d’appuyer le fort de Montrouge en tirant sur les batteries ennemies installées à Bagneux et à la Haye.
Le lundi 9, un communiqué du journal officiel de la République du 9 janvier 1871 parvient au fort : « Après un investissement de plus de trois mois, l’ennemi a commencé le bombardement de nos forts le 30 décembre, et, six jours après, celui de la ville. Une pluie de projectiles, dont quelques uns pesant 94 kilogrammes, apparaissant pour la première fois dans l’histoire des sièges, a été lancée sur la partie de Paris qui s’étend depuis les Invalides jusqu’au Muséum. Le feu a continué jour et nuit, sans interruption, avec une telle violence, que, dans la nuit du 8 au 9 janvier, la partie de la ville située entre Saint-Sulpice et l’Odéon recevait un obus par chaque intervalle de deux minutes. Tout a été atteint : nos hôpitaux regorgent de blessés, nos ambulances, nos écoles; les musées et les bibliothèques, les prisons, l’église Saint-Sulpice, celles de la Sorbonne et du Val-de-Grâce, un certain nombre de maisons particulières. Des femmes ont été tuées dans !a rue, d’autres dans leur lit; des enfants ont été saisis par des boulets dans les bras de leur mère. Une école de la rue de Vaugirard a eu quatre enfants tués et cinq blessés par un seul projectile. Le musée du Luxembourg, qui contient les chefs d’œuvre de l’art moderne, et le jardin où se trouvait une ambulance qu’il a fallu faire évacuer à la hâte, ont reçu vingt obus dans l’espace quelques heures. Les fameuses serres du Muséum, qui n’avaient point de rivales dans le monde, sont détruites. Au Val-de-Grâce, pendant la nuit, deux blessés, dont un garde national, ont été tués dans leur lit. Cet hôpital, reconnaissable à la distance de plusieurs lieues par son dôme que tout le monde connaît, porte les traces du bombardement dans ses cours, dans ses salles de malades, dans son église dont la corniche a été enlevée. Aucun avertissement n’a précédé cette furieuse attaque. Paris s’est trouvé tout à coup transformé en champ de bataille, et nous déclarons avec orgueil que les femmes s’y sont montrées aussi intrépides que les citoyens. Tout le monde a été envahi par la colère, mais personne n’a senti la peur. Tels sont les actes de l’armée prussienne et de son roi, présent au milieu d’elle. Le gouvernement les constate pour la France, pour l’Europe et pour l’histoire. ».
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Le mercredi 11, un décret du gouvernement de la défense nationale précise que « Considérant que les devoirs de la République sont les mêmes à l’égard des victimes du bombardement de Paris, qu’à l’égard de ceux qui succombent les armes à la main pour la défense de la patrie, décrète que : tout Français atteint par les bombes prussiennes est assimilé au soldat frappé par l’ennemi. Les veuves de ceux qui auront péri par l’effet du bombardement de Paris, les orphelins de pères ou de mères qui auront péri de même, sont assimilés aux veuves et aux orphelins des soldats tués à l’ennemi. ».
Le vendredi 13, le dernier ballon piloté par un des mes matelots, le matelot Raoul, le Monge, parti de la gare d’Orléans à 0h30, le ballon atterrit à Arpheuilles dans l’Indre à 8 heures.
Le mercredi 18, le gouvernement de la défense nationale adresse la proclamation suivante aux habitants de Paris : « Citoyens, l’ennemi tue nos femmes et nos enfants; il nous bombarde jour et nuit; il couvre d’obus nos hôpitaux. Un cri: Aux armes ! est sorti de toutes les poitrines. Ceux d’entre nous qui peuvent donner leur vie sur le champ de bataille marcheront à l’ennemi; ceux qui restent, jaloux de se montrer dignes de l’héroïsme de leurs frères, accepteront au besoin les plus durs sacrifices comme un autre moyen de se dévouer pour la patrie. Souffrir et mourir, s’il le faut, mais vaincre. Vive la république ! »
Depuis le début du bombardement des forts, le commandement constate que les calibres employés par l’ennemi équivalent ceux des français : 22, 16, 14, 12 et 8 centimètres. Tous ces projectiles sont cylindro-coniques et creux. Les bombes des mortiers de 22 centimètres produisent des dégâts importants sur les abris même recouverts de deux mètres de terre. Les obus des pièces de 16 centimètres font, eux aussi beaucoup de dégâts : ils traversent les murs des casemates non protégées par une épaisseur de terre suffisante. Dans les terrassements, ces projectiles creusent un entonnoir de quarante centimètres de profondeur, avec un diamètre variant entre soixante-dix et quatre-vingts centimètres. Dans le tir ordinaire, il n’a pas été observé de pénétration plus grande que deux mètres vingt. Les obus de 14 centimètres ont causé des destructions importantes, là où ils prenaient en écharpe un angle de fortification ou une embrasure. Les calibres de 12 et 8 centimètres ont eu peu d’incidence sur les fortifications. Ils sont utilisés comme projectiles anti-personnel, et pour prendre à partie les batteries de campagne.
Le jeudi 19, l’Armée de Paris opère une sortie vers Buzenval (aujourd’hui, l’un des douze villages de Rueil-Malmaison, près de l’hippodrome de Saint-Cloud), mais « la sortie torrentielle » porteuse de tant d’espoirs est un échec sanglant. Les gardes nationaux subissent de lourdes pertes.
Le même jour, dans un ultime effort, une sortie est effectuée, en direction de Saint-Cloud, Garches et Rueil. Près de 90 000 hommes, dont plus de 40 000 gardes nationaux, participent au combat, appuyés par deux locomotives blindées, qui, circulant sur la voie ferrée de Paris à Saint-Germain, bombardent les positions allemandes. En dépit de quelques timides succès initiaux, l’ennemi enraye rapidement l’offensive, notamment en opposant, une nouvelle fois, au mur de Longboyau, une résistance acharnée et, finit par lancer de puissantes contre-attaques sur toute l’étendue du front. Constatant la confusion et le désordre règnant dans les troupes françaises, le général Trochu donne l’ordre de battre en retraite. Les pertes françaises sont extrêmement lourdes : plus de 700 tués et près de 3 400 blessés ou disparus. Le général Trochu (dont Victor Hugo dit qu’il est le participe passé du verbe « trop choir ») est contraint de démissionner. Remplacé par le général Joseph Vinoy en tant que commandant de la ville de Paris et par Adolphe Thiers en tant que chef du pouvoir exécutif.
La bataille de Buzenval constitue le dernier effort des défenseurs de Paris, et les Français n’auront plus les moyens de mettre fin au siège en effectuant de telles sorties.
Le dimanche 22 : je tire mes derniers coups de canon sur les batteries de Bagneux et de l’Hay.
L’armistice
Le jeudi 26, à 21h20, le général Vinoy envoie à tous les forts, la dépêche suivante : « Suspension d’armes à minuit. Cessez le feu sur toute la ligne. Exécutez rigoureusement cet ordre. Accusez réception. » Le feu cesse partout à minuit : « A minuit précis, tout bruit cesse autour de Paris vaincu par la famine. ».
Dans le fort, la déclaration suivante est lue : «Tant que le gouvernement a pu compter sur l’arrivée d’une armée de secours, il était de son devoir de ne rien négliger pour prolonger la défense de Paris. En ce moment, quoique nos armées soient encore debout, les chances de la guerre les ont refoulées, l’une sous les murs de Lille, l’autre au-delà de Laval; la troisième opère sur les frontières de l’est. Nous avons dès lors perdu tout espoir qu’elles puissent se rapprocher de nous, et l’état de nos subsistances ne nous permet plus d’attendre.Dans cette situation, le gouvernement avait le devoir absolu de négocier. Les négociations ont lieu en ce moment. Tout le monde comprendra que nous ne pouvons en indiquer les détails sans de graves inconvénients. Nous espérons pouvoir les publier demain. Nous pouvons cependant dire dès aujourd’hui que le principe de la souveraineté nationale sera sauvegardé par la réunion immédiate d’une assemblée; que l’armistice a pour but la convocation de cette assemblée; que, pendant cet armistice, l’armée allemande occupera les forts, mais n’entrera pas dans l’enceinte de Paris; que nous conserverons notre garde nationale intacte et une division de l’armée, et qu’aucun de nos soldats ne sera emmené hors du territoire.».
Le mercredi 27, conformément aux ordres reçus, mes pièces d’artillerie sont enlevées de leurs positions, mises en parc et prêtes à partir « au premier ordre ». Les travaux de réparation des forts sont suspendus.
Le jeudi 28, les bases de l’armistice sont affichées dans Paris : « L’ennemi doit occuper tous les forts. La garde nationale garde les armes. L’armée, qui doit être désarmée, à l’exception d’une division de 12 000 hommes [dont 1 800 marins], reste dans Paris. Les officiers gardent leur épée. ».
Le vendredi 29, à 5h05, le général en chef télégraphie aux forts que « l’évacuation et la rentrée des troupes dans l’enceinte doivent avoir lieu aujourd’hui même. ». Il donne l’ordre de désamorcer tous les dispositifs de destruction des forts, comme ceux disposés pour retarder l’approche des ennemis.
Du vendredi 29 janvier au lundi 20 mars, je suis occupé par le sixième corps prussiens. Une batterie de mortiers de 21 et des canons de 15 centimètres sont installés sur mon front de gorge pour bombarder la capitale en cas de reprise des combats.
Entre le mercredi 8 mars et le vendredi 17 mars, mes marins regagnent leur port d’attache.
En conclusion
La Marine, dont le rôle dans la seconde partie de la guerre a été considérable et précieux, a fourni un contingent de 15 000 hommes. Ce contingent fut l’élément le plus solide et le plus sûr de la défense de Paris.
Grâce aux pièces de gros calibres amenées des arsenaux de Brest, de Cherbourg et de Lorient, et aux canonniers expérimentés qui les servaient, les forts ont pu lutter jusqu’à la fin. Aucun d’eux ne fut jamais réduit, ni même entouré, malgré : leur position stratégiquement désavantageuse, leurs courtines démodées et leurs larges terre-pleins qui en faisaient de vrais nids à obus.
Le 7 août 1870, après les premières défaites françaises en Alsace et en Lorraine, l’amiral Rigault de Genouilly, ministre de la marine, avait fait décidé par la régente, l’impératrice Eugénie, que les équipages de la flotte non utilisés pour le service de mer seraient appelés à Paris et exclusivement chargés de la défense des forts de Romainville, de Noisy, de Rosny, d’Ivry, de Bicêtre, de Montrouge, ainsi que des batteries de Montmartre et de Saint-Ouen et qu’une flottille, formée de bateaux légers et de canonnières, opéreraient sur la Seine.
Durant le siège de Paris, les pertes de la Marine s’établissent à 45 officiers et 606 marins (marins ou infanterie de marine) sur un effectif de 15 000 hommes.
Dans cet article en deux parties, Fortification et Mémoire a tenté de vous décrire le plus précisément qu’il soit et de la manière (enfin nous l’espérons) la plus agréable possible, la « vie » du fort de Bicêtre durant le siège de Paris.
Nous espérons que cet article vous aura intéressé tout autant qu’il fut passionnant pour nous à écrire. En tout cas, Fortification et Mémoire est heureux de vous faire partager le fruit de son travail.
Sources :
Bibliographique :
- Divers numéros de La liaison des Transmissions.
- La défense de Paris, 1870 – 1871, tome I à IV. Général Ducrot. 1875.
- La marine au siège de Paris : 1870-71 (3e édition). Vice-amiral Bron de la Roncière-Le Noury. 1874.
- Études sur le siège de Paris (1870 -1871). Général Suzanne.1871.
- Combats et batailles du siège de Paris, septembre 1870 à janvier 1871. Louis Jezierski.1872.
- Les ruines de Paris et de ses environs, 1870-1871. Volume 2 / cent photographies par A. Liébert (Paris)-1872.
- Les ballons pendant le siège de Paris – récits de 60 voyages.