Canon versus cuirasse, le vainqueur est …(1/3)

Dans cet article :

– les documents mentionnés : « Collection Guy François » ou « Collection Philippe François » sont publiés avec l’extrême amabilité de messieurs Guy et Philippe François. Ces documents sont parus dans divers numéros de la revue « Guerre, Blindés & Matériels » (GBM). Revue d’excellente qualité rédactionnelle et iconographique, traitant à 100% de l’armée française, revue à laquelle collaborent messieurs Guy et Philippe François ;

les documents mentionnés : « Collection Vaubourg Cédric » ou « Collection Vaubourg Julie » ou « Collection Vaubourg Cédric et Julie » ou « www.fortiffsere.fr » sont publiés avec l’extrême amabilité de monsieur et madame Cédric et Julie VAUBOURG. Ces documents sont extraits de leur site : www.fortiffsere.fr, le site web sur la fortification Séré de Rivières.

Cette illustration issue des Chroniques de Jean Froissart, offre une image saisissante de l'assaut du château de Brest à la fin du XIVème siècle. Si les moyens d'assaut traditionnels demeurent (les échelles donnant lieu à l'échelade) ainsi que les moyens de défense (le jet de pierres), cette représentation montre l'usage d'armes à feu variées (y compris par les défenseurstirant par les meurtrières) dont cependant aucune n'est encore "portative". Petit détail, le personnage à gauche de la bombarde au premier plan manie le soufflet. Est-ce pour attiser le foyer qui permettra d'allumer la charge du canon ou est-ce pour porter au rouge un boulet qui sera ensuite tiré sur la forteresse ennemie ? Collection B.N.F.Dans la seconde moitié du XVe siècle, l’apparition du boulet métallique (issu du progrès de la métallurgie) rend l’artillerie beaucoup plus performante. Désormais, le boulet métallique tiré à moins de cent mètres brise n’importe quel rempart de pierre, quelle que soit son épaisseur. Des solutions palliatives comme l’épaississement des murailles, l’arasement des tours et des remparts n’y feront rien. Les ingénieurs militaires devront sans cesse innover pour adapter la fortification à l’évolution de la puissance de l’artillerie.

Fortification et Mémoire va, au travers de cet article en trois parties, retracer l’incessant combat que se livrèrent la cuirasse et le canon, du XVe au XXe siècles. Dans une première partie, nous traiterons de l’évolution de l’artillerie de siège et de place, jusqu’en 1918, date à laquelle la notion d’artillerie de siège et de place disparaît. Nous nous intéresserons également à quelques pièces d’artillerie de gros calibres en service entre 1870 et 1918. Dans la deuxième et la troisième partie, nous regarderons de quelle manière la fortification,à partir de 1500 jusqu’au « Mur de l’Atlantique », s’est adaptée aux progrès de l’artillerie. Ces différentes évolutions sont concrétisées par autant de systèmes qui seront abordés de manière synthétique en faisant ressortir leur adaptation face au progrès de l’artillerie. Commençons avec le canon de bronze à âme lisse… .

Les progrès de l’artillerie – Du canon lisse au canon rayé

     Le Système Gribeauval

L’artillerie de la Révolution à l’Empire emploie les équipements dits du « Système Gribeauval ». Sous Louis XV, Jean-Baptiste Vaquette de Gribeauval réorganise l’artillerie française en 1762. Son système est définitivement adopté en 1774, se substituant au Système Vallière (Jean-Florent de) datant de 1732.

Ce système :

  • utilise comme unité de base, le « pied du Roy » (32,5 centimètres);
  • utilise pour ses munitions la livre, correspondant au poids du boulet tiré, par exemple, une pièce de 4 livres tire un boulet de 1,96 kilogrammes;
  • fixe à huit le nombre de calibres;
  • spécialise les pièces en fonction de quatre emplois : campagne (calibres : 4, 8 et 12), siège (calibres : 12, 16 et 24), place (idem calibres de siège) et côte, y figure également, un obusier de 6 pouces et un mortier de 10 pouces;
  • standardise la production des tubes et des affûts (facilitant les réparations);
  • impose l’usage d’appareils de mesure comme l’étoile mobile pour mesurer le diamètre de l’âme sur toute la longueur des bouches à feu au centième de millimètre près, permettant de réduire « le vent du boulet » (la différence de diamètre entre le tube et le boulet);
  • améliore le chargement de la pièce par l’usage d’une cartouche à boulet, cette cartouche est composée d’une gargousse et d’un boulet maintenu sur un sabot en bois par deux bandelettes métalliques en croix;
  • augmente la cadence de tir, entre deux et six coups à la minute suivant la munition employée;
  • renforce la rapidité de la mise en batterie grâce au train avant n’ayant plus à être dételé obligatoirement pendant le tir;
  •  crée la voiture-pièce de campagne avec coffret à munitions de dix-huit coups prêts à l’emploi;
  • perfectionne le pointage par l’utilisation d’une vis de hausse réglant l’élévation du tube (mise en site) et par la création d’une véritable ligne de mire, les canonniers disposent désormais de tables où la portée est évaluée par rapport à l’angle de tir;
  • crée pour les voitures d’artillerie un caisson à munitions emportant 350 coups ( une particularité de ce caisson est de disposer d’une roue de secours ! Celui-ci sera notamment utilisé par le Service de santé pour y transporter les blessés du champ de bataille et par l’infanterie pour transporter ses équipements).
 

En 1792, naît l’artillerie à cheval. Les conducteurs des attelages qui sont des charretiers civils, ne se déplacent et ne se maintiennent pas dans la zone des combats. Les déplacements de matériels se font sur le champ de bataille par les canonniers munis de bricoles (pièces de harnais placées sur la poitrine du cheval). Cet inconvénient majeur disparaît en 1800 par la création des bataillons du train d’artillerie. Signalons cet autre aspect pénalisant de l’artillerie de l’époque, son impossibilité à tirer au dessus des troupes. La flèche maximum est inférieure à la hauteur d’un homme, obligeant à placer l’artillerie en première ligne ou composer l’agencement des unités de façon à ce qu’elles manœuvrent en laissant des brèches pour l’artillerie !

Gribeauval améliore l’artillerie avec tant de succès que son système assure les victoires des armées françaises de la Révolution jusqu’au Premier Empire, date de l’apparition du « Système Valée ».

     Le Système Valée

En 1828, le « Système Valée » ou « Système de 1827 » va :

  • conserver la standardisation des pièces d’artillerie et l’essentiel des bouches à feux du « Système Gribeauval »;
  • modifier les avant-trains à contre-appuis des voitures Gribeauval qui manquent de souplesse par un attelage à suspensions;
  • une seconde modification consiste à ajouter sur l’avant-train un coffre à munitions (augmentant l’adhérence) et de transporter les servants qui jusqu’alors se déplacent à pied derrière la pièce d’artillerie;
  • introduire le premier canon de montagne, l’obusier de 12 cm modèle 1828, décomposable en deux fardeaux et transportable sur bâts de mulets.
 

Ce système règne sur l’artillerie française jusqu’à la Deuxième République. Cette artillerie atteint son apogée vers 1860.

La métallurgie progresse

Au milieu du XIXe siècle, les progrès de l’industrie sont en mesure de faire graduellement basculer l’artillerie française de la métallurgie de bronze vers celle de l’acier. Ce métal, plus résistant est aussi plus long à produire du fait d’une capacité de production sidérurgique moindre (1875, premier canon en acier). Ces progrès vont aussi faire glisser l’artillerie, du canon à âme lisse vers le canon à âme rayée et du chargement par la bouche vers le chargement par la culasse.

Pour l’armée française, les premiers projets d’une artillerie à canon rayé datent de 1832 et l’étude de «bouches à feux rayées» est réellement entreprise vers 1844. Le développement des pièces rayées s’effectue sur deux périodes : une période s’étalant de 1859 à 1870, les pièces se chargeant par la bouche et l’autre couvrant la période 1871 à 1880, celle du chargement par la culasse.

     Le Système La Hitte

L’arrivée au pouvoir du prince Louis-Napoléon provoque l’adoption du « Système La Hitte » en 1858. Il consiste à équiper l’armée française des premiers canons rayés à chargement par la bouche.

Le « Système La Hittte » propose les améliorations suivantes :

  • introduction du canon rayé;
  • le calibre est désormais exprimé en kilogramme et non plus en livre;
  • les canons de 4 rayé modèle 1858, de 8 rayé (rayé en 1869 et dérivé du canon de 12 de Gribeauval) et de 12 rayé modèle 1853 (dit « canon de l’Empereur ») remplacent toutes les pièces de campagne. L’obusier de 6 pouces et le mortier de 10 pouces sont déclassés et remplacés par des obusiers de 12 rayé et de 24 rayé pour le siège des places. Les pièces de places et de côtes sont conservées après avoir été rayées;
  • un canon de montagne de 4 modèle 1859;
  • l’emploi de l’obus plein (rare et réservé au tir contre les obstacles très résistants), de l’obus creux, de l’obus à balles et de la boîte à mitraille.

Ce système emploie l’obus oblong (parfois appelé obus Tamisier) comprenant des ailettes en zinc (ou cupules) prenant les rayures lors du chargement de la pièce par la bouche. Cet obus dispose de charge d’éclatement de poudre noire dont la mise à feu est provoquée par une fusée à deux ou à trois durées (ou gammes de distance). Les fines rayures du canon obligent l’obus à tourner sur lui-même lors du coup de départ. Cette rotation lui permet d’acquérir une vitesse initiale beaucoup plus grande, stabilisant ainsi sa trajectoire. La portée et la  précision du canon s’en trouve améliorées (3.000 mètres) et la dispersion des coups est moindre. Par contre, l’armée prussienne dispose déjà d’un canon rayé se chargeant par la culasse et d’une fusée réglable à volonté.

Ce système tombe en désuétude dès 1870 avec les travaux de Jean-Baptsite Verchère de Reffye et le développement du chargement des canons par la culasse.

Les projectiles des pièces se chargeant par la bouche

Obus ordinaire : projectile de forme cylindro-ogivale (après 1874) muni à sa partie supérieure d’une ouverture cylindrique taraudée et destinée à recevoir la fusée percutante de type Desmaret (1859) ou Tardy (1860) (mécanisme de mise à feu de la charge propulsive). Sur les parois extérieures se trouvent des couronnes d’ailettes en zinc (le nombre est fonction du calibre). Ces ailettes s’insèrent dans les rayures du canon. Ces obus sont creux et remplis de poudre, dont l’éclatement projette de vingt à trente éclats. Il est peint en noir ou brun-noir.

Obus à balles ou obus « à la Shrapnell » : projectile renfermant cent cinquante balles (pour un obus de 12) d’ancien fusil d’infanterie de 16 mm. Les billes sont bloquées par du sable et du souffre fondu. La charge est juste suffisante pour briser l’obus. Il présente une partie cylindrique et sa partie ogivale terminée, en forme de goulot de bouteille, pour pouvoir le distinguer de l’obus ordinaire. Les fusées percutantes sont les mêmes que celles de l’obus ordinaire. Elles sont réglées pour exploser en l’air, un peu avant l’objectif. Les balles ainsi libérées forment une gerbe efficace contre les troupes sur cinquante à deux cents mètres. Il est peint en rouge minium.

Boîte à mitraille : c’est la nouvelle dénomination des boîtes à balles pour éviter la confusion avec les obus à balles. Il s’agit d’un projectile formé d’une enveloppe cylindrique en zinc laminé comportant un culot et un couvercle. Sont disposées à l’intérieur quatre-vingt-dix-huit balles en fer forgé, dites balles n°6, par couches horizontales. On les huile pour les préserver de l’oxydation et pour les tenir plus compactes. Puis, on coule du goudron et du souffre fondu dans la boîte. Cette munition est employée pour les tirs à très courte portée et projette une gerbe de grosses balles, dévastatrice sur quelques centaines de mètres. Elle peut s’introduire dans le canon par l’une des deux extrémités indifféremment.

L’artillerie de place et de siège 1830 – 1914

L’artillerie de place a pour mission principale de contrebattre l’artillerie adverse et de tenir à distance les troupes ennemies, afin de laisser la place forte à l’abri des tirs et permettre le regroupement des troupes pour la préparation d’une offensive.

L’artillerie de siège est destinée à l’attaque et à la destruction des places fortes. Cette artillerie trouve un regain d’intérêt après la guerre de 1870 – 1871, car les stratégies offensives (« de revanche ») ne doivent pas être freinées par la résistance de forts d’arrêts et des places fortes, notamment celles de Metz, de Thionville, de Molsheim ou par les forteresses du Rhin. En 1880, les pièces de siège sont organisées de façon permanente en « équipages de siège » servies par l’artillerie à pied (R.A.P. : Régiment d’Artillerie à Pied) pourvue d’attelages hippomobiles leur permettant de se déplacer en campagne. Elles peuvent également, après transport, mettre les pièces en batterie sur voie de 0,60 mètres. Cette voie étroite est inventée par le capitaine Péchot, elle permet le transport, le déploiement et la mise en batterie des mortiers lourds par de savantes manœuvres conjuguant la construction rapide d’une infrastructure et d’un réseau de voies ferrées de siège. Elle devient réglementaire en 1888 pour le réseau des places fortes. A partir de la fin de 1915, l’artillerie à pied cède sa place à l’artillerie lourde à tracteurs organisée en régiments (R.A.L.T.).

Pour en savoir plus sur les voies étroites : les petits trains de la Grande Guerre.

Les progrès de l’artillerie – De la bouche vers la culasse

Cette seconde période couvre la période de 1871 à 1880, c’est l’ère lente et progressive du chargement par la culasse. La substitution des pièces se chargeant par la bouche par celles se chargeant par la culasse ne sera complète qu’aux environs de 1890.

En 1870, l’artillerie française entre en campagne avec ses bouches à feux rayées à chargement par la bouche, s’opposant à l’artillerie prussienne déjà équipée de bouches à feux en acier à chargement par la culasse. L’artillerie française domine, à calibre équivalent, son adversaire dans les domaines : des portées utiles, des fusées percutantes et de la rapidité de tir. Après la défaite, des changements sont décidés. Le 23 février 1874, le comité d’artillerie décide que les artilleries de siège et de place utiliseront le même calibre, sachant que sont prévus pour l’artillerie de place des tubes plus long (pour porter plus loin), de poids plus élevé (car fabriqués en fonte plutôt qu’en acier pour des raisons d’économie), nécessitant des affûts plus résistants. Toutefois, le canon de 12 est réservé à l’artillerie de siège. Le 21 avril, le comité d’artillerie indique que les calibres seront désormais exprimés en millimètre.

Le choix du système fortifié proposé par Séré de Rivières nécessite de doter l’artillerie de pièces capables de prendre à partie une artillerie de siège adverse et d’effectuer des bombardements destinés à désorganiser les colonnes ennemies empruntant des points de passage obligés (routes, cols, gués, ponts…). Le « Système de Reffye » est le système transitoire adopté en 1873.

     Le Système de Reffye

De Reffye met au point une mitrailleuse, appelée « canon à balles » en 1886. Le canon à balles de Reffye, conçu en 1866, est composé d’un cylindre en bronze dans lequel sont placés vingt-cinq canons de fusils. À l’arrière se trouve un bloc de vingt-cinq cartouches qui sont percutées progressivement par une manivelle. D’un poids de près de 700 kilogrammes, la cadence de tir est de 125 coups par minute pour une portée maximale de 2.000 mètres. Une manivelle met en mouvement les culasses qui assurent la charge et la percussion. Arme mal comprise et mal utilisée, elle n’eût aucun succès lors de la guerre de 70. De Reffye joue un rôle dans l’introduction des canons à âme rayée et à chargement par la culasse, améliorant le « Système La Hitte ».

 

Il met en service :

  • un canon de 5 (75 millimètres) et un canon de 7 (85 millimètres), en bronze pour l’artillerie de campagne, capables de soutenir la comparaison avec les meilleurs matériels européens; ils connaîtront une longue carrière dans les armées;
  • un canon à tube rayé de 138 mm de siège et de place à chargement à moindre coût obtenu par le réalésage d’un canon lisse de 16 et lui ajoutant une culasse; ce nouveau nom tient compte du diamètre intérieur du tube en millimètre et non plus du poids du projectile tiré;
  • la vis de culasse utilisée sur cette pièce a été mise au point par le général Treuille de Beaulieu;
  • Son affût en fer est mis au point par le colonel Henri Périer de Lahitolle, devenant le   » Système Lahitolle« .

      Le Système Lahitolle

Il s’agit d’un affût à soulèvement, premier de ce type pour canons lourds. Son originalité réside dans l’existence d’un galet en bronze à l’extrémité inférieure de la flèche permettant de la soulever pour réaliser le pointage en direction. Le vérin à vis destiné au pointage en site permet un passage rapide de la position de transport à celle de tir sans avoir recours à une chèvre jusqu’alors indispensable pour le levage des fardeaux en campagne. Le résultat obtenu donne un excellent matériel de place permettant d’équiper au plus vite les nouveaux forts en construction. En 1875 est adopté comme matériel de place et de siège le canon de 95 millimètres en acier (le premier canon en acier français) du colonel Lahitolle, en remplacement du canon de 7 de Reffye. La production est si intense que le canon de 95 demeure en service pendant la première guerre mondiale. Les stocks de munitions permettent même de l’utiliser jusqu’en 1940.

 

     Le Système de Bange 

Suite à différents essais, le comité d’artillerie du 20 février 1877 adopte les canons en acier se chargeant par la culasse du colonel Charles Ragon de Bange dit  « Système de Bange ». Il s’agit d’un véritable système d’artillerie, l’un des plus complets jamais réalisé en France, remplaçant tous les autres systèmes existants.

Il concerne dix modèles construits en série; du canon de campagne de 80 mm au mortier de siège de 270 mm :

  • en 1877 : les canons de 80 mm et 90 mm de campagne et un canon long de 155 mm de siège et de place;
  • en 1878 : les canons de 80 mm de montagne et 120 mm long de siège et de place;
  • en 1880 : un mortier de 220 mm;
  • en 1881 : un canon court de 155 mm;
  • en 1884 : un canon de 240 mm de côte;
  • en 1885 : un mortier de 270 mm de siège et un mortier de 270 mm de côte;
  • en 1890 : un canon court de 120 mm.

Il introduit également :

  • le tube en acier doux capable de supporter des pressions supérieures à celles que l’on pouvait en imposer au bronze;
  • la chambre à poudre de grande dimension pour ménager le métal en permettant aux gaz de se détendre dans un espace plus vaste, la rayure progressive évitant le forcement trop brusque du projectile à sa sortie de la bouche, écartant le risque d’arrachement de la ceinture de l’obus (bande en métal mou pour l’engagement dans les rayures du canon);
  •  la fermeture de culasse à filets interrompus accélérant la manœuvre de la pièce.

Le « Système de Bange » n’a cependant pas pu résoudre les problèmes du recul. L’absence de frein de recul, oblige à intégrer l’existence d’un puissant recul (cinq à six mètres) après chaque tir. Ce recul non maîtrisé empêche un tir rapide, il faut remettre le canon en place après chaque tir obligeant les servants à une remise en batterie longue et pénible ou à défaut fixer des coins inclinés derrière les roues sur les plateformes de tir.
Le frein hydraulique, limitant le recul, ne sera inventé qu’en 1883.

Quelques pièces d’artillerie de siège ou de place significatives :

  • le 155 long (155 L) de Bange modèle 1877, est dès son adoption un modèle unique de siège et de place. Il est construit à 1.400 exemplaires. Il deviendra LE canon français de contrebatterie des deux premières années de la Grande Guerre. Il ne peut être mis en batterie (comme l’ensemble des canons de gros calibre) que sur une position longuement préparée à l’avance et constituée de la manière traditionnelle : une plateforme en bois stabilisant le fond d’une fosse de taille appropriée, elle-même ceinturée sur les trois côtés de planches, gabions ou madriers. Le 155 L de Bange nécessite pour sa traction un attelage hippomobile de dix chevaux. Le 155 L est remplacé en juin 1917, par le canon de 155 G.P.F. (Grande Puissance Filloux);

  • le mortier de 220 de Bange. Adopté en 1880, il est conçu pour l’attaque des ouvrages de fortification et de position. Son affût rigide nécessite la pose d’une plate-forme en bois sur laquelle il glisse librement sous l’effet du recul. En 1891, quelques exemplaires sont modifiés par l’adoption d’un affût sur châssis à frein hydraulique et plate-forme métallique. Sa manœuvre requiert un attelage de dix chevaux. Dans la guerre de position succédant aux offensives de 1914, ces mortiers à plate-forme de bois trouvent une pleine utilité. Organisés en batteries de position, au fond de casemates sommairement bâties, ils sont répartis sur un front maintenant stabilisé et fortifié. Ils en constituent la principale ossature en artillerie puissante « courte »;
  •  le canon de 155 court (155 C) modèle 1881 Filloux. Ce canon est développé pour concrétiser l’avantage du tir plongeant et du tir vertical des obus de 155 mm dont l’efficacité est prouvée contre les fortifications passagères ou permanentes, et ne justifiant pas l’emploi du lourd mortier de 220 modèle 1880, difficile à amener à pied d’œuvre. Ce canon dispose d’une bonne mobilité : pour le transport, son affût en col de cygne est muni de roues et repose sur un avant-train de siège par une fausse flèche. Sur la position de tir, les roues sont retirées et l’affût est muni de roulettes métalliques pour assurer les petits déplacements. Le matériel repose pour le tir sur une plate-forme à tabliers superposés modèle 1891 qui peut être remplacée par une plate-forme de circonstance construite avec six madriers jointifs reposant sur deux madriers transversaux  pour les tirs à faible charge. Ce matériel est affecté dans les places fortes et est prévu pour entrer dans les équipages de siège à la mobilisation. Ce modèle est retiré du service le 14 août 1919;
 
  • le canon de 155 court (155 C) modèle 1881 Filloux sur affût-truck Peigné-Canet modèle 1893 ou 1897. En 1883, le lieutenant-colonel Peigné étudie, sur les Haut-de-Meuse, la vulnérabilité des nombreuses batteries des forts. Il en déduit qu’en cas « d’attaque brusquée », les batteries ne peuvent être évacuées. Il étudie avec l’ingénieur Canet (responsable du département artillerie de la société des forges et chantiers de la Méditerranée) un affût moderne pour le 155 C porté par un affût-truck pour voie de 0,60 mètres. Le lieutenant-colonel Peigné tente d’imposer son affût-truck modèle 1897, que l’on peut équiper du 155 C ou du 120 L modèle 1878 en fonction des circonstances, pour un équipement massif des places fortes par la création du concept de défense mobile des places. Les tirs peuvent être effectués sur 360° grâce à une console équipée de quatre vérins hydrauliques qui assurent la stabilité du canon pour les tirs latéraux. Chaque pièce est approvisionnée à 1000 coups. Concept qui ne connut qu’un succès d’estime. Trente-deux de ces affût modèle 1897 sont finalement commandés pour les places fortes de Verdun, Toul, Épinal et Belfort. Chaque place forte dispose, en théorie d’un parc de douze canons de 155 C et de huit canons de 120 L. Lors de la bataille de Verdun en 1916, certaines pièces avancées pourront être facilement repliées au moment opportun, prouvant la justesse du concept des pièces mobiles. Ce modèle est retiré du service le 14 août 1919;
 
  •  le canon de 155 court (155 C) modèle 1881-1912 Filloux. Le canon de 155 C souffre de l’inconvénient du tir sur plate-forme, inhérent à tous les matériels de place de l’époque. En effet, malgré la possibilité d’employer en campagne la plate-forme de circonstance beaucoup plus facile à construire que la lourde plate-forme réglementaire modèle 1891, celle-ci est trop fragile pour supporter les contraintes des tirs prolongés imposée par la guerre de siège. En 1907, le capitaine Filloux propose un perfectionnement  important. Celui-ci consiste à faire reculer la flèche du canon entre les montants d’un châssis, tandis que la partie antérieure de l’affût est soulevée suivant un plan incliné facilitant le retour en batterie, assuré de surcroît par un frein hydraulique reliant l’affût à un pivot autour duquel le châssis peut tourner sur la plate-forme. Par ce mouvement de rotation, la pièce à un champ de tir en direction de 24 degrés. Cette transformation redonne de nouvelles possibilités à une pièce déjà ancienne, supprime les fastidieuses remises en batterie effectuées après chaque tir avec un levier à galets et donne un grand champ de tir à la pièce, ainsi susceptible de rendre de grands services dans des opérations de siège. Cette modification est entérinée par le ministère de la Guerre en 1912. Ce canon est également employé par l’armée française d’Orient. Ce modèle est retiré du service le 14 août 1919;
  •  le mortier de 220 modèle 1880 A.C.S. (Affût de Circonstance Schneider), puis codifié sous le nom de : mortier de 220 modèle 1880 sur plate-forme (Schneider). Il est surnommé le « fer à repasser ». À partir de 1915, les opérations militaires se transforment en une guerre de siège. L’artillerie française à besoin de mortiers lourds pour détruire et saturer les positions enterrées et fortifiées allemandes. En attendant la sortie du nouveau mortier de 220 TR Schneider, l’armée française équipe cent mortiers de 220 modèle 1880 d’un affût spécial afin d’en accroître la mobilité. Avec ce châssis, le canon monté sur un pivot central peut pour sa mise en batterie, pivoter dans tous les azimuts. D’un poids en ordre de marche de treize tonnes, il est tracté par des tracteurs lourds d’artillerie. Sa vitesse moyenne de marche atteint dix kilomètres à l’heure. De plus, sa pression élevée au sol (4 kg/cm2) le condamne à un terrain favorable (terrain plat et sec). Parfois, il devient nécessaire d’accoupler deux tracteurs simultanément pour le tirer. Sa trop faible mobilité lui vaut un service très court dans l’artillerie. Ce matériel disparaît en 1919;
  • le mortier de 270 modèle 1885 de Bange. Adopté en 1885, il est le plus gros calibre de l’artillerie française en août 1914. Sa mise en batterie, peut éventuellement nécessiter la mise en place d’une voie étroite de 0,60 mètres. Il est posé sur un affût métallique (affût de Bourges modèle 1891). Cette plate-forme sur laquelle repose le mortier réduit son temps d’installation et facilite son service (limitation du recul et retour en position de tir). Ce mortier à vocation à être remplacé par le mortier de 280 TR (voir ci-dessous), toutefois, quatorze sont encore en service à l’Armistice;
 
  •  le mortier de 220 TR (Tir Rapide) Schneider modèle 1916. Ce  matériel marque un profond changement par rapport aux modèles de Bange : portée accrue de quatre kilomètres, beaucoup plus maniable et sa vitesse de tir est presque double. Cependant, à cause d’un train de roulement fragile, sa vitesse de traction ne peut dépasser les cinq kilomètres à l’heure ! Ce canon reste en service jusqu’en 1939, demeurant le mortier standard dans son calibre;
 
 
  • le mortier de 280 TR (Tir Rapide) Schneider. Cet obusier est dérivé du mortier russe de 11 pouces (179,4 mm). Il effectue du tir plongeant et du tir vertical jusqu’à 60° avec des obus retardés qui provoquent sur les terrassements des entonnoirs de 6 mètres de diamètre et d’1,80 mètres de profondeur et sur une voûte en béton des entonnoirs de 2,20 mètres de diamètre et de 0,80 mètres de profondeur sans toutefois la traverser. Les cuirassements semblent résister au tir de nombreux projectiles mais leur mise hors service apparaît possible par déchaussement préalable des collerettes en béton des avant-cuirasses. Ces constatations sont effectuées en 1912 sur le polygone de tir de l’île de Berézane du fleuve de Dniepr (Russie), encore dénommées « Expériences d’Otchakoff ». Le mortier est décomposable en quatre éléments assemblés sur la position de tir après le creusement d’une fosse recevant la plateforme, puis l’affût. La mise en batterie du mortier s’effectue en six ou huit heures, mais en fonction de la nature du terrain, la durée des opérations peut demander de douze à seize heures ! Ses premiers tirs d’importance ont lieu en avril 1916 à Verdun sur les deux rives de la Meuse. En mai, installés derrière les remparts de Verdun, ils tirent sur le fort de Douaumont. Lors de la première tentative de reprise de Douaumont, on constate que les obus de 280 sont insuffisants pour réduire la fortification moderne (ce que l’on savait depuis 1912). Handicapés par leur mobilité réduite, ces mortiers participent peu aux offensives de 1918. Néanmoins, en septembre 1918 lors des offensives de Champagne et de l’Argonne, ils détruisent les fortifications de campagne du champ de bataille. Ces mortiers tirent leurs derniers obus en juin 1940 lorsque quatre de ceux-ci appartenant à la 6ème batterie du 154ème R.A.P. (Régiment d’Artillerie de Position) détruisent le fort Italien du Chaberton (cette montagne italienne domine le Briançonnais);
 
  • le mortier de 370 Filloux. Cet obusier est conçu pour palier l’insuffisance, en terme de calibre, du mortier de 270 mm modèle 1885 pour réduire au silence les Festen allemandes. Mis au point en 1913, il est l’œuvre du commandant Filloux et est capable d’effectuer des tirs de plein fouet, plongeant et vertical. Ce mortier est le pendant du 420 mm allemand. Pour sa mise en batterie, il nécessite la mise en place d’une voie étroite de 0,60 mètres. Son premier tir opérationnel a lieu le 14 septembre 1915. Il est employé massivement en 1916 à Verdun dans la préparation de la reprise du fort de Douaumont.
 

Tableau récapitulatif de quelques matériels rayé de place 1800 – 1870

Désignation

Calibre en mm

Longueur en calibre

Poids moyen de l’obus en kg

Vitesse initiale en m/s avec l’obus le plus performant

Portée maximum en mètre

Coups à la minute

Poids de la pièce en batterie en kg

Canon de 12

121,3

26

11,5

357

5.200

1

3.420

Canon de 24

152,7

23

23,2

338

5.500

1

4.630

Canon de 30

164,7

19

31,4

301

5.900

1

7.930

Sauf le canon de 30 tirant uniquement des obus, tous les autres utilisent des obus ordinaires, des obus à balles et des boîtes à mitraille.

Tableau récapitulatif de quelques matériels de place et de siège 1870 – 1918

Désignation

Calibre en mm

Longueur en calibres

Poids moyen de l’obus en kg

Vitesse initiale en m/s avec l’obus le plus performant

Portée maximum en mètre

Coup à la minute

Poids de la pièce en batterie en kg

Canon de 138 mm  Mle 1874 du Système de Reyffe

138,6

21

30

382

7.750

1

4.000

Canon de 95 mm du Système Lahitolle

95

26

10

420

7.000

1

2.000

Canon de 120 mm Mle 1878 du Système de Bange

120

27

20

478

9.200

1

3.500

Canon de 155 mm Long Mle 1877 du Système de Bange

155

27

45

534

9.950 (1877) 12.700 (1915)

1

6.500

Mortier de 220 Mle 1880 du Système de Bange

220

6,23

100

300

7.100

1 coup toutes les 3 minutes

4.800

Mortier de 220  Mle 1880-1891 du Système de Bange

220

6,23

100

300

7.100

2 coups toutes les 2 minutes

8.500

Mortier de 270 Mle 1885 du Système de Bange

270

9,63

160

328

7.900

1 coup toutes les 2 minutes

16.500

Mortier de 220 TR Schneider Mle 1916

220

10,3

100

415

10.300

2 coups toutes les 3 minutes

7.500

Mortier de 280 TR Schneider

280

200

418

10.950

2 coups toutes les 5 minutes

16.220

Canon de 155 Court Mle 1881 Filloux

155

13,64

40

291

6.280

1 coup toutes les 2 minutes

4.060

Canon de 155 Court Mle1881 Filloux affût-truck

155

13,64

40

291

6280

2 coups

11.000

Canon de 155 Court Mle 1881-1912 Filloux

155

13,64

40

324

7.300

2 coups

4.660

Mortier de 370 Filloux

370

8

450

375

10.500

1 coup toutes les 2 minutes

28.600 (en batterie)    45.000 (sur route)

A suivre…..

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